Achille Mbembe : Et la mort d’Um Nyobe travailla son esprit…

Achille Mbembe26 mai 2021. - Professeur Mbembe, professeur d’histoire et de sciences politiques à l’Université du Witwatersrand à Johannesburg, est l’une des voix les plus fortes sur les faits et les maux du colonialisme. (Photo de Guillem Sartorio / AFP) (Photo de GUILLEM SARTORIO/AFP via Getty Images)

A l’orée de ce 21e siècle naissant, Achille Mbembe est l’un des intellectuels camerounais les plus prolifiques. Esprit critique et libre s’il en est, sa réflexion tourne sur la réalité postcoloniale et l’inimitié des politiques néolibérales. Dans un art spécifique d’écriture, ce lecteur infatigable de Frantz Fanon critique la pratique politique des dirigeants africains.

Faits marquants 

  • Achille Mbembe est né dans un contexte marqué par la violence coloniale. Ses écrits sont influencés par ce qu’il appelle lui-même la relation coloniale qui est d’essence violente.
  • Le petit Achille a atteint l’âge de la raison dans un environnement caractérisé par une dictature des plus brutes d’Afrique Centrale. Ses écrits sont en majeur partie une dénonciation de la réalité postcoloniale qui est chaotique à ses yeux.
  • Mbembe est auteur et co-auteur de nombreux articles scientifiques et d’ouvrages sur l’histoire politique et la philosophie politique. Il a su élaboré une pensée critique sur l’Afrique contemporaine.
  • Les travaux d’Achille Mbembe sont explorés dans toutes les régions du monde et particulièrement en région africaine, sa contrée natale. Ils sont abondamment interprétés dans le cadre des recherches universitaires. Ses travaux sont scrutés par de nombreux chercheurs en sciences sociales.
  • Aujourd’hui en sciences sociales africaines, il est devenu difficile voire impossible de penser sans Mbembe.  

Qui est Achille Mbembe ?

De nationalité camerounaise, Achille Mbembe est né le 27 juillet 1957 au moment même de la bataille pour les indépendances africaines (A. Mbembe, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, La Découverte, 2013).

Dès son enfance, il fut bercé par des récits qui dénoncèrent les crimes et les injustices du régime colonial et postcolonial.

L’assassinat d’Um Nyobe le 13 septembre 1958, alors même qu’il venait de célébrer sa première année en cette terre des hommes, et la phobie du nom de Um Nyobe par le régime postcolonial, travailla son esprit et le poussa à l’écriture comme une réparation du tort causé à ces gens qui, comme Um, avaient été tué pour leur opposition au régime colonial et postcolonial.

Ruben Um Nyobe : Ecrits sous Maquis – Le Problème National Kamerunais, ed. Achille Mbembe

Le petit Achille a vécu dans sa chair la douleur de la violence coloniale. Sa tante perdit son mari ce même 13 septembre 1958 (Mbembe, La découverte 2013).

Mbembe est le produit de multiples socialisations tant du dedans que du dehors. La socialisation traditionnelle est la première de toute. Elevé par une grand-mère qui perdit son fils dans la dramatique coloniale, il assistait quotidiennement à des scènes de rites d’accompagnement des gens partis outre mesure.

Dans sa contrée natale, cela va de soi. Très jeune, sa familiarité spirituelle avec les pères dominicains l’amena à découvrir la Théologie de la libération du péruvien Gustavo Gutierrez (Mbembe, La Découverte, 2013).

Cette découverte l’influença profondément. Les notions de l’insoumission, de l’affranchissement ainsi que son récit critique sur des potentats et des autorités de la postcolonie viennent en partie de cette découverte.        

Né dans la foulé des indépendances, A. Mbembe a grandi sous le régime dictatorial d’Ahmadou Ahidjo. Sous ce régime, le recours à la mémoire nationaliste était un crime.

Perturbé par des récits multiples (le récit officieux et le récit officiel), il décida au terme de ses études primaires et secondaires, de suivre des enseignements supérieurs en Histoire à l’Université de Yaoundé, dans son pays natal.

Pour trouver des esquisses de réponses aux interrogations issues des récits officieux et officiels de l’époque, il orienta ses travaux académiques sur la violence en pays Basaa pour ce qui est de sa maitrise et « la naissance du maquis dans le Sud-Cameroun (1920-1960), Esquisse d’une anthropologie historique de l’indiscipline » pour ce qui est de sa thèse de doctorat. Ses travaux actuels sont le prolongement des interrogations soulevées dans sa thèse.

Les travaux d’Achille Mbembe sur l’Afrique

L’Afrique est l’objet majeur de la réflexion d’Achille Mbembe (même s’il milite pour une pensée-monde). Après avoir reconstitué les idées politiques de Ruben Um Nyobe dans deux ouvrages, Ruben Um Nyobe : Le problème national kamerunais et Ruben Um Nyobe : Les écrits sous maquis, Mbembe s’intéressé à la pratique politique en Afrique Noire.

Tout acte posé par les gouvernements africains, relevait-il déjà, est toujours de nature à capturer, à coloniser et à dominer les esprits des masses. Pour lui, l’Afrique est dirigée par une classe de gérontocrates-cum-kleptocrates parmi la plus brutale et la plus rapace au monde.

Achille Mbembe s’exprime le 25. 05. 2017 à Hambourg (Allemagne) au Thalia Theater. La 15e édition du Festival «Théâtre du Monde» Photo: Daniel Bockwoldt/dpa ++

Les Universités africaines, créées au lendemain des indépendances officielles, avaient pour ultime finalité de socialiser politiquement les enseignants et les étudiants à l’ordre politique autoritaire (Mbembe, Les jeunes et l’ordre en Afrique Noire, l’Harmattan, 1985).

Ses ouvrages et articles sont en grande partie un vomissement des satrapies africaines qui excellent dans la production de la violence et de l’inhumain.

Sa fascination pour les mouvements historiques d’indiscipline lui permet de structurer une pensée de la libération. L’indocilité est chez lui une source d’affirmation de soi et d’autodéfinition. Ses travaux sur l’Afrique sont d’ailleurs une invite à l’avènement d’un gouvernement de soi et pour soi.

Plus globalement, sa plume est une critique acerbe des potentats africains, de la gouvernance autoritaire et chaotique postcoloniale, de la crise de légitimité en contexte dit démocratique, de l’enfermement dans les frontières issues de la colonisation, de la misère sociale des masses populaires générées par les politiques du désordre et de l’inimitié (Mbembe, Les politiques de l’inimitié, La Découverte 2016). L’exigence du génie de l’homme séduit plus d’un.

La place d’Achille Mbembe

L’art d’écrire, de décrire la laideur dans un style finalement si beau fait d’Achille Mbembe un auteur très lu par les intellectuels dans le monde en général et en Afrique singulièrement.

Même s’il est difficile à l’heure actuelle de mesurer l’influence de ses travaux en Afrique, la pertinence, l’esthétique de la plume de Mbembe séduit bon nombre d’intellectuels.

Aux départements d’Histoire, de Philosophie et de Sociologie de l’Université de Yaoundé I par exemple, de nombreux travaux de master et de doctorat citent abondamment la pensée de Mbembe (confère par exemple les travaux de thèse de Tchala Tchala en Histoire politique).

Grace à l’intérêt de ses travaux et de son apport innovateur dans les sciences sociales, Achille Mbembe a été Directeur Exécutif du CODESRIA entre 1996 et 2000.

Une sélection des différents livres influents d’Achille Mbembe au fil des années.

Mbembe est cofondateur des Ateliers de la pensée de Dakar, un espace de débats permettant de faire le point sur les réflexions qui travaillent l’Afrique comme la crise de la démocratie, la problématique de l’intégration sous régionale.

Les travaux de Mbembe sont une immense richesse pour l’éveil des consciences assujetties et endormies par les satrapies postcoloniales. Mais en milieu politique, notamment en Afrique Centrale, sa pensée est plutôt détestée.

Notamment ses travaux sur la postcolonie semblent être pris plus au sérieux à l’extérieur que dans son pays natal, le Cameroun.

Or, il est devenu un classique de son vivant. Installé en Afrique du Sud, laboratoire à partir duquel il lit l’Afrique et le monde, il y tient des séminaires, des conférences et des discussions sur les défis de son temps. MN

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