Comment vivent les réfugiés de « la crise anglophone » au Nigéria ?

Comment vivent les réfugiés de « la crise anglophone » au NigériaLes réfugiés anglophones du Cameroun sont enregistrés par le personnel du HCR à Okende Settlement à Ogoja, Nigeria, en avril 2019. © HCR/ Will Swanson

En décembre 2019, quelques cent réfugiés de la crise anglophone regagnaient, en grande pompe, le Cameroun en provenance du Nigéria. Une goutte d’eau dans l’océan des Camerounais ayant trouvé refuge au pays voisin. Aujourd’hui, on en dénombre encore plus de 63.000 dont la majorité est repartie dans les États nigérians d’Akwa Ibom, Benue, Cross River, et Taraba.

En 2018, l’ONU faisait déjà état de l’afflux massif des Camerounais qui fuyaient la violence dans les deux régions anglophones de leur pays pour trouver refuge au Nigéria voisin. Ils avaient franchi le seuil de 30.000 en novembre 2018.

Trois années plus tard, alors que le gouvernement du Cameroun annonce avec emphase le retour de la paix dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le nombre des réfugiés externes est passé du simple au double.

Constituées en majorité de femmes et d’enfants, ces populations ont traversé la forêt au péril de leur vie, laissant derrière elles tout ce qu’il leur restait.

La difficile traversée

Dans un communiqué publié sur son site le 13 février 2020, le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (HCR) a indiqué que « les réfugiés ont déclaré avoir fui la violence et certains sont même arrivés de l’autre côté de la frontière avec des blessures par balle. »

Cela témoigne du vent de terreur qui soufflait alors sur la partie du Cameroun en proie à la guerre qui y oppose les forces armées et des groupes rebelles. Face à cette situation, les habitants des localités frontalières avec le Nigéria y ont accouru, les uns avec quelques membres de leurs familles. 

« Selon les nouveaux arrivants, la plupart sont originaires de régions proches de la frontière et ont traversé à pied la savane et les forêts pour rejoindre le Nigéria », lit-on dans ce communiqué.

Venue du Sud-Ouest avec sa famille, Honorine Owe a passé près d’une année à marcher vers Ikyogen, une localité de l’État de Benue qui abrite environ 10.000 réfugiés camerounais. Au gré des violences, elle a déporté sa famille d’un abri à un autre jusqu’à leur arrivé au Nigéria.

Elle a raconté leur longue et douloureuse marche au journal français Le Monde. « Puis de nouveau, des hommes armés sont venus nous déloger. Ils ont brûlé nos abris et ont tué huit personnes. Mon jeune fils m’a demandé si nous allions être tués nous aussi. J’ai répondu : “Non, nous allons partir au Nigeria.” », a-t-elle relaté.

Originaires pour la plupart des villages Akwaya et Eyumojock situés dans le département de la Manyu, « Beaucoup disent avoir reçu l’ordre de quitter leurs maisons dans un contexte de violence accrue au sein de leurs localités », selon Babar Baloch, porte-parole du HCR.

Les postes-frontières officiels étant fermés, le HCR et ses partenaires se sont installés à proximité des entrées dans les zones frontalières du côté nigérian en vue d’évaluer la situation et les besoins de ceux qui arrivent.

Loin du visage désolant de leur terre d’origine, souliers et vêtements usés, les réfugiés camerounais sont confrontés à la difficulté d’insertion dans les camps qui les accueillent.

Comment survivre chaque jour ?

L’appui de l’ONU aux réfugiés du camp d’Ikyogen est passé de 7.200 (environ 10 368 Fcfa) à 3 700 nairas (environ 5.328 Fcfa), par mois et par personne. « Nous essayons d’être le plus honnêtes possible avec ces gens. Nous leur expliquons qu’il y a moins d’argent qu’avant et que l’aide financière mensuelle va encore baisser », indique Anita Sokpo qui intervient dans une ONG catholique sur place.

Selon le HCR, la crise sanitaire liée au Covid-19 est à l’origine de la réduction de l’aide financière accordée aux déplacés pour leur prise en charge quotidienne.

Par ailleurs, l’accès à l’eau courante et aux commodités de la vie n’est pas gagné dans les camps. L’insalubrité et la promiscuité dans lesquelles baignent les Camerounais qui ont fui la guerre les exposent à de nombreuses maladies.

Selon les déclarations de Martin Tem, chef projet pour Rheme Care à Ikem, une autre localité qui voit affluer des réfugiés depuis 2017, « Dans certains camps de réfugiés, il n’y a pas une seule goutte d’eau potable ».

« Souvent, les réfugiés utilisent la même eau pour se laver et pour boire. C’est vous dire à quel point la situation est critique. Dans de telles conditions, de nombreux réfugiés tombent malades à cause de la nourriture et de l’eau », ajoute-t-il.

Promiscuité et chômage

Dans chacune des tentes exiguës construites par le HCR, hommes, femmes et enfants s’amassent parfois jusqu’à une quinzaine. À Ikyogen, George Kudi dort dans un réduit avec 12 autres membres de sa famille.

Chef d’un village dans le Sud-Ouest du Cameroun, il a quitté son pays pour échapper à la furie des sécessionnistes qui le soupçonnaient d’être un informateur à la solde du gouvernement. « Ils ont tué la plupart des autres chefs de villages. Quand cela m’est parvenu, j’ai préféré partir pour éviter les ennuis », déclare-t-il.

Si le chômage et le désœuvrement y touchent les déplacés comme les jeunes locaux, certains Camerounais saisissent les opportunités que leur offrent l’ONU pour se refaire une vie au Nigéria.

Ferdinand Ossa est de ceux-là. Il a été retenu pour suivre une formation en couture. Grace aux revenus tirés de son activité, il a réussi à se faire construire une petite maison à Ikyogen. Il participe à son tour à former en informatique des jeunes, Camerounais et Nigérians, dans un centre qui y a récemment ouvert ses portes.

Il déplore néanmoins les limites de ces offres de formation. « L’ONU offrait jusqu’ici des formations agricoles. Les choses évoluent. Mais nous sommes nombreux : presque 12 000 réfugiés camerounais dans l’État de Benue. Les besoins ne sont pas tous couverts. »

À la fin du mois de mars dernier, le Dr. Christopher Fomunyoh, directeur régional pour l’Afrique au National Democratic Institute for International Affairs, a rendu visite à des compatriotes en détresse au Nigeria.

« Nous avons passé Pâques à visiter et à livrer de la nourriture aux réfugiés camerounais au Nigeria. Nous avons touché du doigt leur état précaire de douleur, de souffrance et de besoin. Comme l’a dit un chef d’établissement des réfugiés: «Dites à nos frères et sœurs de ne pas nous oublier. Nous mourons en silence »,a-t-il écrit sur Twitter.

Pendant que la situation sécuritaire demeure tendue dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, de nombreux Camerounais restent réfugiés dans plusieurs États du Nigéria et appellent de tous leurs vœux la pacification complète de leurs bourgs d’origine. Certains d’entre eux vivent, malgré eux, loin de chez eux depuis 2017. MN

1 Commentaire sur "Comment vivent les réfugiés de « la crise anglophone » au Nigéria ?"

  1. Bel article. Récit très exact. Félicitations, et, au nom de ces réfugiés là, grand merci.

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