Discours de haine au Cameroun : Entretien avec Andzongo Menyeng

discours de haine camerounBlaise Pascal Andzongo Menyeng : « les discours de haine sont une gangrène pour la stabilité sociale et pour la cohésion sociale ».

Discours de haine au Cameroun Les réseaux sociaux prennent désormais des allures de champs de bataille. On assiste, sur la toile, à des joutes oratoires qui mettent souvent aux prises des personnes ignorant les conséquences de leurs publications.

Pour lutter contre ce mal dont les racines prennent des proportions inquiétantes, des associations se sont créées. Parmi elles, Eduk-Média sensibilise à l’éducation aux médias. Son Président fondateur,  Blaise Pascal Andzongo Menyeng, nous parle de l’éducation aux médias et des actions de l’association qu’il dirige.

« Dans un contexte où les médias sont de véritables canaux de diffusion de la violence, de propagation d’ infodémies, de propagation de pornographie »

  • MUNTUNEWS CAMEROUN : Vous êtes le Président d’une association d’éducation aux médias, Eduk-Média. Dites-nous-en davantage.

Andzongo Menyeng : L’association camerounaise d’éducation aux médias a pour but de développer l’esprit critique dans les pratiques médiatiques, notamment les pratiques des consommateurs des médias, les pratiques des producteurs des médias et celles des diffuseurs d’informations médiatiques.

Elle nait en 2017, dans un contexte où les médias sont de véritables canaux de diffusion de la violence, de propagation d’ « infodémies » (fausses informations diffusées en masse), de propagation de la pornographie, et qui influencent grandement les populations.

Nous avons donc pensé qu’il serait nécessaire d’organiser des séances de sensibilisation à l’endroit de tous les consommateurs des médias, mais aussi, de faire des formations à l’endroit des parents, des jeunes, des professionnels des médias afin que chacun puisse avoir un comportement assez sain vis-à-vis des pratiques avec les médias.

« On y observe de plus en plus la désinformation et les discours de haine »

  • Quel diagnostic faites-vous de l’utilisation des médias au Cameroun ?

Le nombre de médias est en constante évolution. En regardant les statistiques, on constate qu’il y a les médias traditionnels de plus en plus nombreux. Nous avons un très grand nombre de personnes qui s’abonnent chaque jour sur les réseaux sociaux.

Sur Facebook, par exemple, nous sommes déjà près de 3 500 000 abonnés actifs. Il y a plusieurs réseaux sociaux accessibles au Cameroun. Le constat qui peut paraitre est que les populations utilisent de façon inappropriée ces médias, notamment les réseaux sociaux qui sont de plus en plus courus par les jeunes.

On y observe de plus en plus la désinformation et les discours de haine. On constate aussi des phénomènes comme la cybercriminalité et la cyber violence qui prennent plus d’ampleur.

Campagne de l’association Eduk-Média contre la désinformation sur le net – (c) Carelle Simeu

Cependant, on peut nuancer car certains ont réussi à capitaliser l’avantage que procurent ces médias traditionnels et ces médias nouveaux qu’on peut appeler les réseaux sociaux numériques. Ils réussissent à ouvrir des commerces, réussissent à se faire de l’argent, à se vendre à l’international.

Donc, même si l’utilisation des médias semble assez négative de par l’observation que nous faisons et de l’actualité que nous avons sur les réseaux sociaux, on peut penser que certains prennent conscience de l’avantage de ces médias.

« Les individus réagissent à des frustrations sociales, à des tensions sociales en renvoyant des discours de violence et de haine »

  • Selon vous, quelle est la cause des discours de haine qui polluent l’univers du numérique au Cameroun aujourd’hui ?

Les discours de haine, même s’ils pullulent sur le numérique, ne naissent pas avec le numérique. C’est un phénomène sociétal. Les individus réagissent à des frustrations sociales, à des tensions sociales en renvoyant des discours de violence et de haine.

L’une des causes de l’augmentation des discours de haine c’est la mauvaise appropriation des médias, puisque beaucoup ne savent pas le mode de communication qu’il faut adopter lorsqu’on se trouve sur un média.

Il est donc possible que de façon involontaire, des propos haineux soient non seulement produits en ligne mais soient diffusés de façon non intentionnelle.

Cela peut aussi être imputé à l’absence de régulation de nos gouvernements qui n’ont pas la capacité de réguler les plateformes numériques et qui vont laisser prospérer ces discours de haine. Par ailleurs, Il y a le problème des sanctions qui n’est pas résolu.

Il y a des lois qui tardent à se mettre en place en ce qui concerne la conversation sur le numérique. Voilà autant de choses qui donnent l’impression d’être dans l’impunité, ce qui augmente les comportements de haine en ligne. 

« …pour une instauration de l’éducation aux médias dans les programmes d’enseignement dans nos écoles et universités »

  • Avez-vous entrepris des actions à l’effet d’enrayer le phénomène ?

L’association Eduk-Média a entrepris un ensemble d’actions notamment des actions de sensibilisation auprès des populations, des actions de formation, non seulement au niveau des consommateurs et des producteurs médiatiques, mais surtout pour des professionnels.

Nous avons lancé des campagnes digitales parce qu’on est capable d’atteindre beaucoup de cibles à travers le digital. Nous avons participé au projet « CoronavirusFacts » avec l’UNESCO. Ce projet nous a permis de former des leaders d’organisations de la société civile sur la conception d’outils de lutte contre les discours de haine.

Comité d’organisation du projet CoronavirusFacts – (c) Facebook/Eduk-Média

Nous menons des actions de sensibilisation dans les établissements scolaires auprès des jeunes avec lesquels nous échangeons.

Aussi, à la fin du mois de mars, nous avons interpellé les Ministres des postes et télécommunication, de l’éducation de base, des enseignements secondaires et de l’enseignement supérieur pour une instauration de l’éducation aux médias dans les programmes d’enseignement dans nos écoles et universités.

« Jusqu’à présent, le gouvernement tarde à appliquer la loi qui sanctionne ceux qui se rendent coupables de violence et de discrimination en ligne »

  • Quel regard portez-vous sur l’action du gouvernement relativement à l’utilisation irresponsable des réseaux sociaux ?

Le gouvernement propose des actions, bien qu’elles nous paraissent faibles par rapport à l’ampleur du phénomène. Le gouvernement utilise presqu’essentiellement de la sensibilisation alors que le phénomène qui tend à déliter la cohésion sociale nécessite d’aller au-delà.

On a besoin d’instaurer des cours d’éducation aux médias pour que les gens sachent à quoi s’en tenir. Il y a aussi le problème de sanction. Jusqu’à présent, le gouvernement tarde à appliquer la loi qui sanctionne ceux qui se rendent coupables de violence et de discrimination en ligne.

Beaucoup de choses restent à faire par le gouvernement. Nous comptons sur son soutien car nous savons que la volonté politique est capable de résoudre le problème.

« Les discours de haine sont une gangrène pour la stabilité sociale et pour la cohésion sociale »

  • Quels conseils donneriez-vous à une personne qui se rendrait coupable de propagation de fausses nouvelles, de discours de haine ou discriminatoire ?

Il faut savoir qu’il y a une personne ou une communauté qui est victime et qui souffre du discours de haine qui est propagé en ligne. Il faut prendre conscience de l’effet que cela produit chez les victimes, parce que ce sont des effets assez graves.

Il faut savoir qu’il y a des lois qui sanctionnent l’incitation à la violence et la propagation de fausses informations. Il faut éviter de se cacher derrière les pseudo-anonymats des réseaux sociaux pour diffuser les discours de haine puisque les discours de haine sont une gangrène pour la stabilité sociale et pour la cohésion sociale.

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