Émile Essombe ou l’urgence de repenser le Conseil Constitutionnel

Émile EssombeÉmile Essombe, membre du Conseil Constitutionnel du Cameroun, lors d’un entretien avec Associated Press, au palais des congrès de Yaoundé, le mercredi 10 octobre 2018. Le Cameroun est alors en attente des résultats de l’élection présidentielle de dimanche, dont la victoire du plus ancien dirigeant d'Afrique est largement attendue. Les membres du Conseil constitutionnel ont entendu les plaintes des avocats des partis d’opposition. (AP Photo/Sunday Alamba)

Le contentieux postélectoral d’octobre 2018 est entré dans les annales de l’histoire des élections au Cameroun du fait de son caractère inédit.

Mais ce qui reste indélébile dans les esprits c’est la maladroite démonstration d’Émile Essombe face au collège d’avocats du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) qui réclamaient les 32 procès-verbaux transmis à la Commission nationale de recensement général des votes.

Malgré la pertinence des arguments des avocats entendus, l’instance juridictionnelle dirigée par Clément Atangana a rejeté l’ensemble des 17 recours déposés par quatre requérants dont Maurice Kamto, le Président du MRC.

Que vaut le Conseil constitutionnel ?

Prévu par la constitution du 18 janvier 1996 par la loi No 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 2 juin 1972, modifiée elle-même par la loi No 2008/001 du 14 avril 2008, le Conseil constitutionnel du Cameroun n’est mis sur pied que le 7 février 2018, en plein contexte préélectoral.

Ce sont les décrets No 2018/104 du 07 février 2018 portant organisation et fonctionnement du Secrétariat général du Conseil constitutionnel et No 2018/105 du 07 février 2018 portant nomination des membres du Conseil Constitutionnel qui en définissent les modalités de fonctionnement.

On peut se demander pourquoi avoir attendu 22 années pour faire fonctionner cette instance juridictionnelle suprême. La réponse à cette interrogation se trouverait dans le contexte particulier des élections de 2018 avec la montée inquiétante d’acteurs de poids dans l’opposition.

On peut imaginer qu’il fallait baliser le chemin pour reconduire le Président Paul Biya à la tête du Pays. Pour s’en convaincre, un regard sur la constitution de cet organe de justice suffit.

Le Conseil Constitutionnel du Cameroun est constitué de 11 membres dont plusieurs cadres du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), parti dont le Président de la République tient les règnes.

Il s’agit de : Clément Atangana, Emmanuel Bonde, Bipoun Woum Joseph Marie, Florence Rita Arrey, Emile Essombe, Paul Nchoji Nkwi, Jean Baptiste Baskouda, Sanda Bah Oumarou, Charles Etienne Lekene Donfack, Joseph Owona et Ahmadou Tidjani.

Parmi les 11 premiers membres du Conseil Constitutionnel dont Jean Foumane Akame, décédé le 13 janvier 2019, il n’y avait pas moins de cinq membres du Comité central du RDPC. Cette proportion est restée la même avec la nomination du Professeur Joseph Owona, le 15 avril 2020, en remplacement de Jean Foumane Akame. Le Professeur de droit a été membre titulaire élu du Comité central du parti au pouvoir.

Au regard du visage qu’affiche le juge de la constitutionnalité des lois camerounaises, il est loisible de croire que le Conseil est acquis à la cause du Chef de l’État qui en propose d’ailleurs trois membres.

Pour le reste, trois membres sont désignés par le Président du Sénat, cadre du RDPC, trois autres membres sont désignés par le Président de l’Assemblée nationale, cadre, lui aussi du parti présidentiel, et les deux derniers membres sont proposés par le Conseil supérieur de la magistrature.

De surcroit, Le Président du Conseil constitutionnel est l’époux de Mekongo Hélène, députée pour le compte du RDPC dans l’arrondissement de Ngomedzap. C’est sans doute cette configuration qui a fait dire à Basile Louka, universitaire et ancien Secrétaire Général de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) que le Conseil constitutionnel est « une équipe d’accompagnement du pouvoir ».

« Quand l’arbitre d’un match porte le maillot d’une des deux équipes, ça trouble toujours le jeu », déclarait-il au magazine français Jeune Afrique.

C’est d’ailleurs l’objet d’un des recours introduits par le MRC qui demandait la récusation du jury pour « suspicion légitime » à la faveur du contentieux d’octobre 2018. « Nous avons un Président du Conseil constitutionnel qui est l’époux d’une députée du RDPC. Cela pose problème sur le plan de l’éthique », lançait Maitre Simb pour justifier la démarche de son parti.

Au sujet de la saisine du conseil Constitutionnel, Dominique Junior Zambo Zambo écrit dans le quinzième numéro de la revue des droits de l’homme qu’ « au Cameroun, et de manière constante, d’une part, des titulaires du droit de saisine sont tous du même bord politique, c’est-à-dire appartiennent en fait au parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), détenteur de l’écrasante majorité à l’Assemblée Nationale et au Sénat, trente sur cent sénateurs étant d’ailleurs nommés   par   le   Président   de   la   République   (chef   du   parti   dominant) ». 

«  Cet   abus   de position dominante parlementaire du RDPC fait qu’en dépit du caractère pluraliste du parlement camerounais, les députés et les sénateurs de l’opposition parlementaire n’atteignent   généralement   pas   la   fraction   requise   pour   saisir   le   Conseil Constitutionnel », poursuit-il.

Si les membres de cette instance doivent être choisis parmi les personnalités qui jouissent « d’une grande intégrité et d’une compétence établie » comme l’indique la constitution de 1996, la réalité semble toute autre. Les informations sur certains membres comme le magistrat Emile Essombe pourrait discréditer davantage le Conseil constitutionnel.

Qui est Émile Essombe ?  

« Je vais travailler pour redonner à ce pays sa paix ». On s’était étonné d’entendre celui qui était encore Procureur de la Cour d’appel du Sud-Ouest prendre cet engagement au lendemain de sa nomination au Conseil Constitutionnel, en février 2018, alors que la crise anglophone qu’il avait vue naitre battait encore son plein.

Emile Essombe a été nommé Procureur Général pour la région du Sud-Ouest le 18 décembre 2014. Il a occupé cette fonction jusqu’à sa nomination le 7 février 2018 au Conseil constitutionnel. Pendant 4 années, il y aurait trainé des casseroles qui font beaucoup de bruits aujourd’hui.

En 2018, Charles Abi Enonchong, fils du regretté avocat et ancien Directeur de la société Gold Flame International située à Bwinga non loin de Tiko, accusait le membre du Conseil constitutionnel d’avoir dérobé 10 milliards de francs Cfa issus des ventes du caoutchouc de la plantation dont il disait en être l’héritier. À l’effet de solliciter l’arbitrage du Président du Conseil constitutionnel, Charles Abi Enonchong avait envoyé une lettre à ce dernier.

Loin des remous relevant de cette affaire, Émile Essombe a présidé la Commission nationale de recensement général des votes après l’élection d’octobre 2018. Il ne lui a certainement pas échappé, à cette occasion, qu’il avait été nommé par le Président Paul Biya et qu’il fallait lui rendre l’ascenseur.

La véhémence des requérants engagés dans le contentieux postélectoral n’a pas suffi pour le déstabiliser malgré les nombreuses irrégularités qu’ils avaient pu mettre en exergue, notamment avec les procès-verbaux partiellement signés brandis par le magistrat.

Ces « faux procès-verbaux », tel que les ont appelés les avocats du MRC auraient été soit fabriqués, soit falsifiés par la Commission nationale de recensement général des votes sous la conduite d’Émile Essombe, selon les déclarations du collège d’avocat.

Cette suspicion a prospéré dans les esprits d’autant plus que le président de la Commission nationale de recensement général des votes avait procédé à la photocopie de quelques pages comportant des statistiques et avait remis les photocopies à la vingtaine de membres de commission nationale présents, arguant qu’il était impossible de photocopier tous les procès-verbaux.

Le représentant du parti de l’opposition à la commission, Alain Fogue, s’en était rendu compte en examinant des extraits des 58 procès-verbaux transmis par les commissions départementales de vote. Parmi les irrégularités révélées au contentieux, on a cité l’absence de signatures sur les pages comportant des statistiques.   

À la fois juge et parti, Émile Essombe, comme plusieurs autres membres du Conseil constitutionnel, a participé à la déconstruction des recours introduits par les partis de l’opposition à l’issue du scrutin d’octobre 2018. Il a participé à la légitimation de la curieuse victoire de Paul Biya. Mais avait-il vraiment le choix ?

Émile Essombe est, depuis le 7 février 2018, l’un des membres influents du Conseil Constitutionnel. Il a présidé la Commission nationale de recensement général des votes après l’élection de 2018.

Son rôle dans le rejet des recours introduits par quelques candidats malheureux à cette élection semble évident. Sa posture est révélatrice de ce que le Conseil Constitutionnel dans son ensemble doit être réorganisé pour garantir l’impartialité de ses membres aux prochaines échéances électorales. MN 

3 Commentaires sur "Émile Essombe ou l’urgence de repenser le Conseil Constitutionnel"

  1. TONNERRE TOKSIA | 22. avril 2021 at 12:48 | Répondre

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ACTUEL DU CAMEROUN DEVRAIT ÊTRE REVU AVANT TOUTE ÉLECTION FUTURE, AUTANT QUE LA LOI ÉLECTORALE QUI BALISE LE TERRAIN.
    CAR, SANS RÉEXAMEN DE SES STRUCTURES, QU’ON NE NOUS PARLE MÊME PLUS D’UN QUELCONQUE VOTE AU PAYS ( MIEUX ENCORE LE TEMPS DE L’U. N. C QUI SE PRÉSENTAIT COMME PARTI UNIQUE).

  2. Ndongo Assoo Charles | 22. avril 2021 at 17:02 | Répondre

    Cet article est certainement écrit par un néophyte de la chose électorale. Car ce que le mrc et ses avocats appellent pv n’est que le bordereau ou le soit-transmis des vrais Pv. Les pv sont établis dans les bureaux de vote, la compilation des chiffres sortis des bureaux de vote se fait au niveau de la communication communale qui donne lieu à un pv qui est établi et signé de tous les representants des partis politiques et en autant d’exemplaires que les partis politiques. Les pv des commissions communales atterrissent dans les commissions départementales présidées par des magistrats. Le Cameroun a 58 départements, chaque commission départementale fait la compilation des chiffres venant des commissions communales, établit un pv qu’il adresse à la commission générale de recensement général des votes. C’est ici qu’on a vu la malhonnêteté des gens du mrc. Le de la commission départementale qui est établi et signé de tous les membres, est accompagné par une feuille de présence des personnes ayant assisté aux travaux en commission, chaque président de commission peut faire signer les membres ou pas, l’essentiel c’est le pv de compilation des chiffres. Voilà alors la farce du mrc qui prend la feuille d’émargement comme le pv. 32 présidents de l’ont pas fait, le président du conseil constitutionnel a bien demandé si c’est prévu dans le code électoral, jamais, voilà vos fameux 32 Pv.

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