Décadence de l’enseignement secondaire au Cameroun, des années 90 à nos jours

CAMEROON-HEALTH-VIRUS-EDUCATIONDes élèves portent un masque comme mesure préventive contre la propagation du coronavirus COVID-19 dans leur classe au Collège Jean Tabi de Yaoundé, au Cameroun, le 1er juin 2020. - (Photo de – / AFP) (Photo de -/AFP via Getty Images)

Le 03 mars 2021, le Ministre des enseignements secondaires a tenu, en visioconférence, une réunion de crise avec des responsables de son département ministériel.

Cela faisait suite à la publication, sur les réseaux sociaux, d’une vidéo quasi pornographique tournée par certains élèves du lycée bilingue de Kribi. Ce scandale n’est pourtant que l’arbre qui cache la forêt.

L’enseignement secondaire au Cameroun connait une décadence depuis la décennie 90. Comment se manifeste ce délitement de nos lycées et collèges ? Quelles en sont les causes ?

Durant les deux dernières décennies, les écoles normales se sont multipliées autant que les lycées et collèges au Cameroun. Entre 2000 et 2020, la carte des écoles normales supérieures s’est enrichie de trois nouvelles écoles, soit la moitié de l’ensemble des établissements où sont formés aujourd’hui les enseignants du secondaire.

Le Cameroun compte donc plus de professeurs de lycées et collèges qu’il n’en avait à la fin du dernier millénaire. En 2004, le Ministère des Enseignements Secondaires et le Ministère de l’Éducation de Base sont nés des cendres du Ministère de l’Éducation Nationale pour une gouvernance plus efficiente au sein de chacun de ces deux secteurs de l’éducation nationale.

Selon le Document de stratégie du secteur de l’éducation et de la formation, les effectifs des élèves inscrits dans les différents établissements d’enseignement secondaire sont passés de 976 910 à 1 574 452 élèves répartis entre l’enseignement secondaire général et l’enseignement secondaire technique, le public et le privé, entre 2006 et 2011.

Cela traduit l’augmentation du taux de scolarisation qui n’a pas cessé d’évoluer. Selon le même document, « Le  TBS (Taux Brut de Scolarisation)  du  secondaire  est  passé  de  32  %  en  2006  à  47%  en  2010.  Cette  évolution  résulte  de l’élargissement de l’offre (publique et privée) à ce niveau d’enseignement. »

Ces mutations comme plusieurs autres mesures entreprises dans le domaine de l’éducation avaient pour objectif d’améliorer la qualité des enseignements dans le secondaire et partant, le profil des citoyens issus de l’école.

Seulement, au regard de plusieurs indicateurs, on peut dire que les choses se sont plutôt détériorées. Selon un rapport publié par la banque mondiale en avril 2012, « La mauvaise qualité de l’éducation au Cameroun est un obstacle à la croissance économique et au recul de la pauvreté ».

Les indicateurs pourtant au rouge

Le principal indicateur de performance du système scolaire, les résultats des apprenants, réconforte la banque mondiale comme tous les autres observateurs dans cette position.

En effet, en 2011, le rapport d’analyse des données statistiques du MINESEC situait le taux de réussite national des candidats aux différents examens officiels à 44,24 %, soit 39,36 % enregistrés dans le sous-système francophone et 49,12% dans le sous-système anglophone.

Dix années plus tard, l’enseignement secondaire au Cameroun ne se porte pas mieux. Le taux de réussite aux différents examens organisés par l’Office du Baccalauréat du Cameroun a été de 38,40%, l’équivalent de 156 741 candidats admis pour 412 875 candidats inscrits en 2020.

Ces chiffres évoluent en dents de scie et n’ont que très rarement franchi la barre des 50%. L’enseignement secondaire enregistre donc presque chaque année, et depuis des décennies, une moyenne inférieure à 10/20.

Si cela est aussi valable pour la décennie 90, la différence se situe au niveau du procès de validation des savoirs des élèves. Les résultats rendus publics depuis deux décennies sont peu ou prou édulcorés suivant les désirs du politique.

« Des candidats ont été admis avec la moyenne de 08.5/20 »

Depuis le début des années 2000, les délibérations consistent au grossissement des notes de certains candidats repêchés.

En 2002, après l’annonce d’un des taux de réussite les plus bas jamais enregistrés au Cameroun, 21%, Jean Marc Bikoko affirmait que « si on s’en était tenu à la moyenne de 10/20, on aurait eu un taux de réussite de 6% ». Il était alors le secrétaire général du syndicat national autonome pour l’enseignement et la formation.

En 2016, Zacharie Mbatsogo, l’ancien Directeur de l’O.B.C. confirmait ces déclarations dans une interview accordée au quotidien Mutation en précisant que « l’Office fixe ses critères, vérifie, quelles que soient les performances d’un candidat, que les matières dites fondamentales rassurent sur son niveau ».

Un enseignant qui a requis l’anonymat nous a confié que lors des cinq dernières délibérations auxquelles il a pris part en qualité de membre de jury, « des candidats ont été admis avec la moyenne de 08.5/20 »

Consommation de stupéfiants, le sexe et l’obscénité à l’école

Au-delà des  résultats insuffisants, la décadence de l’enseignement secondaire au Cameroun peut se mesurer au taux d’abandon. Pour la seule année scolaire 2010-2011, 6,72% des élèves du secondaire ont quitté les salles de classes.

Cela pourrait paraitre anodin. Mais lorsque l’on établit une correspondance avec le nombre d’élèves concernés, on réalise que ce taux d’abandon n’est guère négligeable. Des 1 574 452 élèves dont les noms apparaissent dans les registres des inscriptions des établissements secondaires, 105 804 ont manqué à l’appel à la fin cette année-là.

Une étude menée par Isidore Noumba avait déjà établi, quelques années plus tôt, que « l’incidence de l’abandon scolaire est de 8,22%, le double du taux obtenu dans les écoles américaines en 2003 ».

Dans son article intitulé Un profil de l’abandon scolaire au Cameroun, l’universitaire ajoute que « au-delà de 22 ans, les individus peuvent plus facilement être tentés d’abandonner pour trouver un emploi à cause de leur âge, surtout si ceux-ci ont des difficultés à réussir leurs examens en fin d’année ».

Pour ajouter une touche sombre à ce tableau peu reluisant, les élèves ont invité la violence, la consommation des stupéfiants, le sexe et l’obscénité à l’école. Le 14 janvier 2020, un jeune élève de 4ème au lycée de Nkol bisson à Yaoundé a assassiné son jeune enseignant de mathématiques, Kévin Boris Njomi Tchakounté.

Le 29 mars 2019, c’est le jeune Blériot Tsanou, élève au lycée de Deïdo à Douala qui avait payé de sa vie le prix du vandalisme en milieu scolaire. Il était poignardé par d’anciens camarades exclus peu avant le drame. Dans chacun de ces deux cas, le bourreau était réputé consommateur assidu de stupéfiants.

Les clichés comme ceux-là sont de plus en plus relayés à travers les médias classiques et les réseaux sociaux, preuve, s’il en était encore besoin, de ce que nos lycées  et collèges sont sujets à une décadence sans précédent.

Tous coupables

Les responsables de la chute de l’enseignement secondaire au Cameroun se recrutent à tous les niveaux du triangle didactique. La communauté éducative entière est pointée du doigt.

L’État

Au banc des accusés, l’État est le premier. Certes des initiatives ont été prises par les pouvoirs publics dans le sens de l’amélioration du système éducatif, mais au fond, l’école n’en  pas été impactée.

Les derniers états généraux de l’éducation se sont tenus en mai 1995. Depuis lors aucune réflexion inclusive et substantielle n’a été menée à l’effet d’évaluer le chemin parcouru.

Pourtant, l’école fait face à des défis nouveaux. L’adoption de nouveaux programmes d’enseignement conçus suivant l’approche par les compétences suscite plutôt la controverse dans le milieu enseignant.  

La loi fédérale votée par l’Assemblée nationale en juin 1963 et visant l’harmonisation des deux sous-systèmes d’éducation hérités de la colonisation n’a jamais été appliquée.

De façon globale, le financement de l’éducation a connu une régression comme l’a indiqué le Rapport d’État du Système éducatif Camerounais. Il en ressort que le chiffre lié aux dépenses éducatives courantes « est en effet en deçà des ratios observés au début des années 90 dans le pays ».

Les enseignants

Parmi les corolaires de ce déficit de financement, il y a la dégradation du traitement salarial de l’enseignant. Cela se traduit depuis plusieurs années par la multiplication de revendications souvent portées par des groupes syndicaux.

Cela explique peut-être les griefs qui sont formulés à l’encontre de l’enseignant aujourd’hui. Absentéisme, légèreté, corruption sont entre autres maux qui touchent sévissent dans le corps enseignant. Cela a sans doute des répercussions sur les résultats des apprenants et sur l’atmosphère globale de l’école.

À côté de cela, les infrastructures scolaires sont vieillissantes et inégalement réparties. La plupart des grands lycées construits après les indépendances ne sont aujourd’hui que l’ombre d’eux-mêmes.

Le pays est déficient en ce qui concerne la disponibilité des places dans les établissements. Tandis que certains C.ES. de localités reculées son fermés à cause du manque d’élèves, la quasi-totalité des lycées des grandes villes étouffent du fait des effectifs pléthoriques.

Les parents

Une part de responsabilité relativement à la défaillance de l’école incombe aux parents. Ceux-ci ont démissionné de leurs fonctions d’encadreurs. Selon Gladys Akaba, Conseillère Principale d’Orientation, « les parents font partie des causes externes de la déperdition de leur progéniture. Ils sont de plus en plus absents et parlent moins avec les enfants ».

Au demeurant l’enseignement secondaire au Cameroun est secoué par une crise profonde qui écorne année après année l’image de sanctuaire qu’on a jadis colée à l’école. Les manifestations de cette décadences sont l’échec, la délinquance, le vandalisme, la violence, la corruption, etc.

Pour le Professeur Jacques Evouna, Chef du département de Communication à l’Université de Douala, « le Cameroun peut et doit de nouveau se doter d’un système éducatif d’excellence. Pour cela, il lui faut en avoir la volonté politique, c’est-à-dire en faire une priorité et y mettre des moyens conséquents. C’est là le prix unique de l’émergence ». MN  

À lire aussi : COVID-19 au Cameroun : Le Président disparu des radars depuis un an     

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.


*