Le «Renouveau» et les droits de l’Homme : Entre discours, lois et praxis

Droit de l'Homme au CamerounLes partisans du président camerounais sortant Paul Biya, du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), défilent devant une affiche de campagne électorale lors d’un rassemblement à Yaoundé, au Cameroun, le vendredi 5 octobre 2018. (AP Photo/Sunday Alamba) via picture alliance

Droits de l’Homme – En 1982, le Cameroun connaissait sa première alternance politique depuis 1960.

  • A la faveur d’une succession constitutionnelle, Paul Biya devenait le deuxième Président de la République du Cameroun.
  • Dès les premières heures de son règne, il initia un nouveau discours dans le champ des droits de l’homme.
  • Le début de son règne fut même baptisé le régime du renouveau. Cela se traduisait par un discours nouveau, par l’enrichissement du cadre normatif relatif aux droits fondamentaux des Camerounais.
  • Et progressivement, la question des droits de l’homme allait refaire publiquement son irruption dans les langues soit pour magnifier l’intention du nouveau président, soit pour dénoncer sa sincérité du point de vue de la mise en pratique desdits droits.

Paul Biya et la question des droits de l’Homme

Le 4 novembre 1982, Ahmadou Ahidjo annonce sa démission à la tête de l’Etat du Cameroun et 2 jours après, le 6, Paul Biya prêta serment à l’Assemblée Nationale. Conscient de la gouvernance autoritaire de son prédécesseur, l’homme du 6 novembre amorça son règne par la tenue des discours d’ouverture.

Sous Ahidjo, les libertés politiques et les droits fondamentaux des citoyens étaient constamment violés. Pour faire bonne figure, le nouveau président annonça que nul n’avait plus besoin de se cacher pour exprimer une opinion sur la gestion des affaires de la cité.

C’est ainsi que dès le 11 novembre 1982, soit seulement 5 jours après son accession à la magistrature suprême, Paul Biya, lors de son tout premier conseil de ministres, fit une allocution dans laquelle il invitait les hommes d’affaires, les investisseurs et toutes les forces vives de la nation à se mobiliser pour un développement rapide du Cameroun.

Et le président précisait qu’ils pouvaient le faire dans les conditions de paix, de sécurité et surtout de liberté. Ce fut lors de ce conseil inaugural qu’il lâcha le mot « liberté ». Son règne fut donc inauguré par une préoccupation sur la question des libertés fondamentales.

Parlant du processus de démocratisation et donc de consécration des droits de l’homme, il affirmait en juin 1983, dans une interview accordée au Club de la Presse du Tiers-Monde que : « Nous ne pouvons pas dire que dans le cours de son histoire à venir, le Cameroun restera nécessairement dans le cadre du parti unifié ».

Le 30 décembre de la même année, à l’occasion de son discours de fin d’année, le président Paul Biya relevait que « la démocratisation est l’une des options fondamentales et spécifiques du renouveau ». Allant dans le même sens, il martelait devant l’Assemblée Nationale le 17 juin 1985 que « la démocratie doit être vécue au Cameroun comme une réalité ouverte et dynamique ».

De 1982 à 1990, Paul Biya avait toujours tenu un discours qui présentait son pays comme un Etat de droit qui respecte les droits de l’homme. Il dira d’ailleurs dans les années 1990 dans une chaine de radio étrangère qu’il aimerait que l’histoire le retienne comme celui qui a libéré la parole au Cameroun. Il dira également dans l’un de ses discours, s’adressant à ses compatriotes « que je vous ai apporté la démocratie et la liberté, faites-en bon usage ».

Dans son livre « Pour le libéralisme communautaire », il avait réaffirmé son attachement aux droits de l’homme en faisant remarquer qu’il mettra sur pied une charte nationale de la liberté. Mais l’homme ne s’était pas seulement limité au simple discours qui, dans le fond, était plutôt progressiste, et qui lui donnera en ce temps une sympathie imprudente de ses concitoyens.

La consécration juridique des droits de l’homme sous le « Renouveau »

En outre, avec l’accession de Paul Biya à la magistrature suprême, l’on assista à un enrichissement du cadre juridique des droits de l’homme au Cameroun. Le nouveau président s’était lancé dans une politique de ratification des instruments internationaux de droits de l’homme.

Avant 1990, le régime du « renouveau » avait déjà signé et/ou ratifié près de sept instruments en matière de droits de l’homme dont les plus importants sont le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, le Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels auxquels le Cameroun adhère le 27 juin 1984, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, à laquelle le Cameroun adhère le 20 juin 1989 et la Convention contre la Torture et autres Peines ou traitements Cruels, Inhumains ou dégradants acceptée par le Cameroun le 19 décembre 1986.

Ce cadre juridique allait connaitre un important enrichissement en décembre 1990 avec l’adoption des lois sur les libertés publiques votées à l’Assemblée Nationale et promulguées par Paul Biya.

C’est ainsi qu’entre le 5 et le 19 décembre de cette année, le champ juridique relatif aux droits de l’homme s’était enrichi d’une douzaine de textes législatifs. Il ne manquera plus que de les mettre en pratique. Mais très vite, arrivera la désillusion.      

Le « Renouveau » et la praxis des droits de l’homme

Cette richesse normative n’avait pas pour autant atténué la violation des droits humains qui était quasi-quotidienne. Cela est d’autant plus vrai que la loi sur la subversion prise en 1962 était restée en vigueur jusqu’en 1990.

Au sujet de la violation des libertés fondamentales, une ancienne militante de l’UPC et combattante des libertés, Mme Henriette Ekwé, affirme par exemple que « Les libertés sont gravées dans le marbre de la constitution, mais elles ne sont pas respectées ».

Cette dame qui rentra au Cameroun à la suite du discours d’ouverture tenu par le nouveau président fut contraint d’aller se cacher à l’Ouest du pays et vivre en clandestinité, car elle était recherchée pour ses opinions progressistes.

Parlant de la situation des droits de l’homme avant 1990, maitre Charles Tchoungang dira que c’était compliqué de discuter avec votre client sans qu’il ne se retourne pour vérifier s’il n’était pas mis sous écoute.

Même dans les couples, dit-il, on ne savait pas si « l’époux ou l’épouse allait faire des rapports le soir » pour dénoncer une colère citoyenne d’un Camerounais au regard d’un discours à la télé ou à la radio. Les journaux étaient aseptisés, la police ou l’armée était contre le citoyen, martèle-t-il.

Malgré le discours nouveau, l’opinion contraire n’était toujours pas tolérée. Même les libertés consacrées en 1990, furent la résultante d’une double conjoncture nationale et internationale qui avait pressé le président.

Des militants de son parti, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), avaient même organisé des marches contre le retour aux libertés politiques au Cameroun.

Le « Renouveau » camerounais avait certes dans une moindre mesure initié une démocratisation à l’intérieur du seul parti existant, mais il n’était pas prêt à laisser tous les Camerounais jouir effectivement de leurs droits fondamentaux. MN

  • Abonnez-vous à notre Newsletter et recevez régulièrement l’essentiel de l’actualité camerounaise dans votre boîte mail. S’abonner ici

Soyez le premier à laisser un commentaire on "Le «Renouveau» et les droits de l’Homme : Entre discours, lois et praxis"

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.


*