Le SED : un centre de torture au cœur de la capitale camerounaise

SED - CamerounLe Secrétariat d’État à la Défense (SED) est resté un lieu de torture. Il s’en dégage régulièrement des relents de sueur et de sang.

Dans un rapport rendu public après une mission au Cameroun, le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Sir Nigel Rodley, a interpellé les autorités camerounaises sur les pratiques de torture qu’il avait observées dans les lieux d’incarcération. C’était en 1999.

Rien n’a pourtant évolué, deux décennies après. Le Secrétariat d’État à la Défense (SED) est resté un lieu de torture. Il s’en dégage régulièrement des relents de sueur et de sang.

« Les motifs qui m’ont emmené ici -propagation de fausses nouvelles- n’étaient pas fondés. J’ai été très bien traité, bien reçu… Le PV a duré de 10h à 14h. Tout s’est bien passé. Mais en réalité, je ne comprends pas le fondement de cette convocation… » Le Professeur Pascal Charlemagne MESSANGA NYAMDING s’est ainsi exprimé face à la caméra d’un activiste à sa sortie du SED, le 9 mars dernier.

Comme lui, de nombreux Camerounais sont convoqués ou conduits de force dans ce haut lieu de la gendarmerie nationale. Mais tous n’ont pas la chance d’en ressortir comme ils y entrent.

En novembre 2020, le décès du jeune Ngwa Chemuanguh Divine a fait la Une de nombreux journaux. Il avait été extrait de force de son domicile au quartier Obili puis, conduit au SED où il fut déclaré mort quelques jours plus tard.

Un mois plus tôt, c’est le jeune Mainimo Joseph, élève au lycée bilingue de Tibati qui poussait son dernier souffle dans l’une des cellules du SED, après avoir subi d’atroces sévices. Il y avait  été emmené par son père qui le soupçonnait de consommer des stupéfiants. Si ces cas de violences sont légions, ceux des prisonniers politiques sont les plus médaitisés.

Prisonniers politiques …

En aout 2020, plusieurs partisans du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) ont séjourné dans les murs du SED, à la suite des émeutes qui avaient éclaté à la prison centrale de Nkodengui, le 22 juillet de la même année.

Avec d’autres prisonniers soupçonnés d’entretenir des liens avec des groupes séparatistes impliqués dans la crise anglophone, ils avaient subi de graves supplices. « Je me suis entretenu avec mes clients le 6 août à l’extérieur du tribunal. J’ai vu des horreurs. Ils avaient tous des cicatrices sur le corps à cause de la torture subie au SED, et des blessures à la tête. Ils m’ont aussi dit avoir été interrogés sous la menace d’une arme », avait précisé l’un des avocats des infortunés.

Dans un article publié le 30 septembre 2020, nos confrères de camerinfos.net ont relayé des informations faisant état de violences physiques dont aurait été victime Olivier BIBOU NISSACK, cadre du MRC, torturé avec des camarades de son parti par des gendarmes qui auraient reçu « des instructions ».

En 2011, c’est l’ancien Ministre et ancien Secrétaire général de la Présidence de la République, Titus EDZOA qui criait son ras-le-bol dans une lettre ouverte adressée à Paul BIYA. «14 ans de torture, Monsieur, ça suffit ! », avait-il écrit. Il dénonçait ainsi la question qu’il subissait dans le sous-sol du SED.

Alerte des Organisations de défense des droits de l’Homme 

Dans une publication du 20 aout 2019, Human Rights Watch a apporté des détails sur des cas de torture perpétrés sur les militants du MRC au Secrétariat d’État à la Défense.

« Les autorités camerounaises ont détenu plus d’une centaine de personnes au secret et torturé un grand nombre d’entre elles dans un centre de détention à Yaoundé, la capitale du Cameroun, entre le 23 juillet et le 4 août 2019 », peut-on lire dans ce communiqué.

Pour Lewis MUDGE, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch, « Ces récits crédibles de torture et d’abus au Secrétariat d’État à la défense ne sont malheureusement pas les premiers, mais seulement les plus récents ».

Ce rapport reposait sur une enquête menée auprès de 14 personnes ayant passé des jours au SED, auprès des parents de personnes détenues et auprès de six avocats de détenus.

Lewis MUDGE, dans ce rapport, a lancé un appel aux autorités camerounaises. « Le fait que les forces de sécurité semblent se croire libres de torturer les détenus et de les soumettre à d’autres abus est la conséquence directe de l’attitude du gouvernement camerounais consistant à fermer les yeux sur les rapports documentant ces abus – mais le monde entier observe la situation de près. » preveniat-il. Mais depuis, les tortionnaires du SED n’ont pas assoupli leurs méthodes de traitement des détenus.

Ce que dit la loi

Selon les textes relatifs aux droits humains, il est formellement interdit d’exercer un quelconque traitement dégradant et inhumain sur un détenu. Au Cameroun, la loi protège les personnes arrêtées.

Elle dispose que les détenus ne peuvent être soumis à quelques contraintes physiques ou mentales que ce soit. Elle interdit par ailleurs la détention au secret car les proches et les avocats des détenus doivent pouvoir leur rendre visite.

Dans le préambule de la constitution du Cameroun on apprend que « toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Elle doit être traitée en toute circonstance avec humanité. En aucun cas, elle ne peut être soumise à la torture, à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants »

 L’article 122 du Code de Procédure pénale r quant à lui précise que « Le  suspect  ne  sera  point  soumis  à  la  contrainte  physique  ou  mentale,  à  la torture, à la violence, à la menace ou à tout autre moyen de pression, à la tromperie, à des manœuvres  insidieuses,  à des  suggestions  fallacieuses,  à  des  interrogatoires  prolongés, à l’hypnose, à l’administration des drogues ou à tout autre procédé de nature à compromettre ou à réduire sa liberté d’action ou de décision, à altérer sa mémoire ou son discernement. »  

En son alinéa 3, il ajoute que : « la personne gardée à vue peut, à tout moment, recevoir aux heures ouvrables la visite de son avocat et celle d’un membre de sa famille, ou de toute autre personne pouvant suivre son traitement durant la garde à vue ».

Le Secrétariat d’État à la Défense chargé spécialement de la gendarmerie veille à la défense de l’intégrité de le la nation camerounaise.

Ce haut lieu de la protection du pays se construit cependant une réputation peu élogieuse depuis des années. On y torture des personnes parfois jusqu’à la mort. Les témoignages d’anciens détenus victimes de ce système odieux n’émeuvent pourtant pas les autorités. MN

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