Djaili Amadou Amal a fait une entrée fulgurante dans l’histoire du très prestigieux prix Goncourt avec sa double nomination au Goncourt et au Goncourt des lycéens. Si la première course ne lui a pas été favorable, la native de Maroua a en revanche consolidé sa place au cœur de l’élite de la littérature africaine avec son couronnement au Goncourt des lycéens.
Passée la phase de l’euphorie collective, de nombreux observateurs questionnent la médiatisation à outrance qui entoure la promotion de ce laurier au Cameroun et en France. Le livre vaut-il finalement tous les égards qui lui sont accordés ?
Un timing qui intrigue
Djaili Amadou Amal a été récompensée pour son engagement contre le mariage forcé et les discriminations auxquelles certaines femmes sont sujettes dans Les Impatientes, roman sorti des presses des Éditions Emmanuelle Collas le 4 septembre 2020, trois mois seulement avant son sacre.
Depuis, l’évènement a fait la Une de près de 500 journaux en ligne dont les plus connus en France, Le Monde et Le Figaro. France24 a classé la toute première lauréate du Prix Orange parmi « Les dix femmes qui ont marqué l’année 2020 ». Pourtant, on n’en parlait presque pas avant sa nomination.
On pourrait croire que l’œuvre de celle qui s’est érigée depuis lors comme « le porte-parole d’une majorité de femmes » du Cameroun était programmée pour la récompense. La date de sa publication semble pourtant trop juste pour ne pas susciter des interrogations. On répondra que plusieurs autres romans en lice ont été publiés pendant la même période. Soit.
Édité en 2017 aux éditions Proximité à Yaoundé, sous le titre Munyal, les larmes de la patience, le troisième roman de Mme Djaili Amadou Amal a pris un coup de neuf avant d’être réédité par Emmanuelle Collas dont la maison d’édition porte le nom, à quelques jours de la publication de la sélection du Goncourt.
Selon le calendrier de l’événement disponible sur le site du ministère français de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, les candidatures ont été soumises au DAAC puis aux partenaires du Prix pour la sélection du 4 mai au 20 juin 2020, et l’annonce de la sélection du Goncourt s’est faite le 15 septembre 2020.
À cette date, Les Impatientes n’était qu’un nouveau-né. On peut donc se demander en toute légitimité avec quelle version du roman l’auteure a soumis sa candidature, Munyal, les larmes de la patience ou Les Impatientes.
La surprise de la sélection
Dans la première sélection de la compétition, l’épouse de Badiadji Horrétowdo (écrivain lui aussi), ne faisait sans doute pas figure de favorite. Le Figaro n’a pas hésité à faire savoir sa surprise dans un article intitulé justement « La Camerounaise Djaili Amadou Amal, surprise de la sélection du prix Goncourt ». « Soyons francs : rares sont ceux qui l’avaient vue venir dans cette rentrée littéraire marquée par la présence d’auteurs africains repérés en France, comme Gauz ou Fiston Mwanza Mujila », a écrit la journaliste Gladys Marivat.
Comme elle, Mohammed Aïssaoui, Miguel Bonnefoy, Emmanuel Carrère, Sarah Chiche, Irène Frain, Lola Lafon, Hervé Le Tellier, Jean-Pierre Martin, Carole Martinez, Tobie Nathan, Camille Pascal, Maël Renouard, Maud Simonnot et Camille de Toledo ont proposé, à travers leurs créations, des histoires toutes aussi intéressantes et profondes les unes que les autres.
Mais de l’avis d’une certaine critique, Emmanuel Carrère, Sarah Chiche, Lola Lafon et Hervé Le Tellier étaient bien partis pour être les plus plébiscités par les quelque 2 000 élèves sélectionnés dans plusieurs lycées et collèges de France pour constituer le jury de cette autre édition du Goncourt des lycéens, avec respectivement Yoga, Saturne, Chavirer et L’anomalie.
A la question de savoir si ce quatuor de favoris ne relève pas de l’expression du chauvinisme de la critique, on se rend bien à l’évidence que le choix était objectif. À titre d’illustration, avec Chavirer, Lola Lafon était en lice pour pas moins de quatre prix, à savoir : Goncourt, Femina, Landerneau et Décembre.
Sarah Chiche, elle, était en compétition avec Saturne pour les prix Goncourt, Médicis et Femina. Le roman a d’ailleurs propulsé la psychanalyste au sommet du podium à l’issue de la course au prix Roman-News.
Hervé Le Tellier quant à lui est connu comme un romancier prolixe habitué des premières sélections : Goncourt, Renaudot, Médicis et Décembre. Pour Unidivers.fr, Djaili Amadou dont le site a célébré la victoire est avant tout une « romancière camerounaise publiée pour la première fois en France, dans une modeste maison d’édition, infiniment moins en vue que le fameux trio GalliGrasSeuil, gagnant quasi exclusif des prix littéraires de chaque automne ».
Ces précisions ne sont pas fortuites quand on sait que depuis 1988, année de la création des prix Goncourt, les outsiders ont rarement damé le pion aux maisons comme Seuil, Grasset, Gallimard, Acte Sud et Plon.
Commentant le carré des finalistes Goncourt 2020, les journalistes du nouvelobs.fr ont trouvé que « Djaili Amadou Amal est la vraie surprise ». Pour eux, la sélection des finalistes « n’est pas la liste qu’on imaginait au début de la saison […] on voyait déjà la couronne sur la tête d’Emmanuel Carrère pour ‘Yoga’ ».
Sa place dans le paysage africain des Goncourts
Djaili Amadou Amal a rejoint, le 2 décembre 2020, le cercle fermé des auteurs africains lauréats du prix Goncourt des lycées : David Diop en 2018, Gael Faye en 2016, Léonora Miano en 2006 et Ahmadou Kourouma en 2000. Les impatientes reste le roman dont la sélection a pourtant été la plus surprenante.
Au sujet de Frère d’âme de David Diop, Le Figaro a écrit que « le roman de l’écrivain franco-sénégalais envoûte plus sûrement qu’un classique roman de guerre. » Selon le journal en ligne, le « Grand favori des prix littéraires cette saison […] figurait sur toutes les dernières listes importantes… »
Sur babelio.com, site de critique, un lecteur exprime son admiration au sujet de ce qu’il appelle « une pépite », Petit Pays, roman grâce auquel Gaël Faye a décroché le Goncourt des lycéens. « Je partage pleinement l’enthousiasme de l’ensemble des critiques pour ce livre. Un peu hésité à le lire craignant un autre livre sur une enfance en Afrique comme ceux d’Alain Mabanckou ou de Calixthe Beyala, ou un autre sur le génocide rwandais, mais lu les premières pages sur Amazon, vite décidée, …..Ça saute aux yeux, Gaël Faye est un talent » écrit-il.
En réaction à la comparaison que des lecteurs ont tôt fait d’établir entre les deux Camerounaises lauréates du Goncourt des lycéens, l’auteur Samy Tchak a déclaré que « Léonora Miano fait partie des rares écrivaines africaines dites intellectuelles ».
« Elle est capable d’élaborer et de théoriser, au-delà de la fiction, une véritable pensée. Personnalité d’une complexité extrême, elle ne peut être définie par un quelconque adjectif : à elle seule, Miano constitue une école. Chez Djaïli Amadou Amal, c’est la sensibilité à fleur de peau. Elle s’exprime comme elle le sent et ne construit aucune théorie. On ne peut pas comparer deux auteures à partir d’une sélection. Tous les prix littéraires renvoient aussi à de la subjectivité », pense-t-il.
La forme et le fond du roman coutent-ils si cher ?
Djaili écrit dans une langue simple et fluide comme l’attestent les rares critiques dont le jugement se fait sous le prisme de la forme du roman. Thierry Amougou présente le récit comme « un bel objet littéraire […] dans un style simple et accessible à tous ».
Oui. Le style de l’auteure est même trop simple, plat, par endroit. Christian Desmeules qui s’est livré à la critique du texte pour Ledevoir.com trouve « l’écriture sans relief et la mécanique parfois prévisible ». Il ne s’agit donc pas d’un chef-d’œuvre du point de vue esthétique et stylistique, comparable aux jets de Léonora Miano.
En revanche, les lecteurs s’accordent presque tous à reconnaitre la puissance émotionnelle de l’histoire de Ramla, Hindou et Safira. Ce livre a beaucoup touché Héléna, élève au lycée Georges Brassens de Neufchâtel-en-Bray et membre du jury ayant accordé son vote à Djaili. « Par moments, j’aurais aimé entrer à l‘intérieur de l’histoire pour pouvoir aider ou même écouter ces femmes pleines de détresses », témoigne-t-elle.
Dans sa plaidoirie, Océane admire le courage de l’auteure qui parvient à surmonter les blessures de son passé pour se livrer au public. « Pourquoi ce livre et pas un autre ? Tout simplement parce que c’est un sujet dont personne ne parle, qui est tabou, et l’auteure a réussi à surmonter son passé pour nous le faire partager et c’est admirable. »
Au demeurant, Les Impatientes de Djaili Amadou Amal est un roman intéressant mais peut-être pas plus que ça. Il mérite un Prix Goncourt des lycéens mais certainement pas tout le tapage médiatique qui l’accompagne.
Cela pourrait bien cacher un projet dont la réalisation se ferait en dehors du cadre de la littérature, si tant est que Emmanuelle Collas qui a découvert l’auteure à travers ses actions sur le terrain avant d’en découvrir l’œuvre littéraire la présente comme « une auteure attachante, dont le roman s’inscrit dans la lignée de ceux qu’elle défend, parce qu’ils allient l’intime et le politique, l’individu et sa communauté, la conviction et la résistance. » Pour certains, cette médiatisation à outrance s’inscrirait dans une logique de séduction. MN
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