« Main basse » sur la Commission Nationale des Droits de l’Homme

commission de Droits de l'Homme au Cameroun

Le Cameroun fait partie de ces sociétés peu disposées à tenir complètement compte des droits de l’homme. Dans les sociétés de cette nature, la présence du pouvoir en place est observée dans les tous champs possibles du réel.

Dans le champ institutionnel, en l’occurrence la principale institution nationale de promotion et de protection des droits de l’homme, le régime brille par une main mise sur la structure. Cette mainmise est perceptible sur le plan juridico-institutionnelle et sur le champ opérationnel.

En dépit des multiples réaménagements de cette institution, le pouvoir de Yaoundé arrive toujours à la caporaliser. L’intervention répétitive des restructurations n’a rien changé en matière de perception de la posture léthargique de notre institution par rapport à sa capacité à assumer pleinement et efficacement ses fonctions de protection et de promotion des droits de l’homme.

C’est ainsi que la Commission souffre d’un déficit réel d’indépendance, d’autonomie et de rigueur opérationnelle.

I. Le déficit d’indépendance et d’autonomie

La Commission des Droits de l’Homme souffre d’un réel manque d’indépendance et d’autonomie financière.

1. La dépendance à l’égard du pouvoir exécutif

Sur le plan juridico-institutionnelle, la Commission des Droits de l’Homme du Cameroun est régie par une loi nouvellement adoptée à l’Assemblée Nationale et promulguée par le Président de la République le 19 juillet 2019.

Cette loi en son article 12 alinéa (2) stipule que les « membres de la Commission sont choisis parmi des personnalités de nationalité camerounaise résidant sur le territoire national, jouissant de leurs droits civiques et politiques, reconnues pour leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle et ayant des connaissances avérées en matière des droits de l’homme ».

Mais, il est au regret de constater que l’esprit de cet élément n’est pas respecté. A l’observation des nouveaux membres de la Commission, l’on enregistre des personnalités à moralité douteuse.

Le journal « Kalara » dans son numéro 373 du 23 février 2021 relevait à ce titre qu’il y’a « un repris de justice parmi les membres » de la Commission.

En son alinéa (3), le « Président, le Vice-président et les membres de la Commission sont nommés par décret du Président de la République pour un mandat de cinq (05) ans renouvelable une fois, sur proposition des administrations, associations et organismes socioprofessionnels auxquels ils appartiennent ».

A l’aune de cet alinéa, le Président de la République a juridiquement exprimé sa volonté d’avoir toujours un regard sur le déploiement de l’institution des droits de l’homme.

Ce pouvoir discrétionnaire du Président de la République est t’autant plus grave que l’actuelle président de la commission est un membre actif du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, parti au pouvoir chapoté par le Président de la République.

Cette nomination d’un militant politique à la tête de la CDHC dans un pays où la violation des droits de l’homme est permanente, quasi quotidienne et semble désormais être la chose la plus partagée, ne peut laisser dans les esprits que le manifeste de la « main basse » de l’exécutif sur la Commission.

Ce regard du régime sur l’institution des droits de l’homme vient également traduire le refus du Cameroun à respecter les Principes de Paris et autres textes régionaux et internationaux qui fixent les exigences minimales en matière d’indépendance des institutions nationales des droits de l’homme. L’INDH du Cameroun souffre également d’un déficit d’autonomie.

2. Une autonomie financière insuffisante

En effet, selon l’actuelle législation la Commission, en son article 2 alinéa (1), « est dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière ». Et l’article 45 de la même loi précise que les ressources de la « Commission proviennent des dotations inscrites chaque année au budget de l’Etat ; des appuis provenant des partenaires nationaux et internationaux, des dons et legs ».

Il faut noter ici que cette consécration juridique de l’autonomie financière de la CDHC figure dans tous les textes antérieurs portant sur sa création ou son aménagement.

Mais en dépit de cette consécration, l’institution n’a jamais bénéficié de ressources financières appréciables sinon considérables pour ses activités tant bureaucratiques qu’opérationnelles. Depuis son existence, la structure n’a jamais pu avoir une dotation étatique se chiffrant en plusieurs milliards.

Or, des structures parallèles comme la CONAC, la Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme, ont régulièrement des budgets conséquents. L’on note donc un manque de volonté politique.

Et pourtant, cette volonté politique est un élément essentiel de dynamisation du travail d’une institution de droit de l’homme. Quel que soit le cadre dans lequel s’articulent les actions de promotion et de protection des droits de l’homme, la volonté des Etats est nécessaire pour la garantie de leur effectivité.

II. La Commission face à la concurrence des structures parallèles et le défaut de collaboration

Dans le champ de la promotion des droits humains, la CDH est concurrencée par de nouvelles institutions avant de subir le refus de collaboration de certaines administrations.

1. La création des institutions concurrentielles   

 Dans l’effort de compréhension des insuffisances de la Commission, on note un manque de volonté politique. Ce manque s’explique par un défaut de considération qui se manifeste par la création des institutions de même type et donc concurrentes.

C’est ainsi qu’on note l’existence d’autres institutions à l’instar du Conseil National de la Communication, de la Commission Nationale Anticorruption, d’une Direction des Droits de l’Homme et la Coopération Internationale au Ministère de la Justice créée en 2006 et la création du Tribunal Criminel Spécial.

Or, parmi les sous-commissions de la CNDHL, il existe une qui s’occupe des questions spéciales à l’instar de la corruption et des détournements. Contrairement à la CNDHL, ces institutions sus-évoquées bénéficient de moyens financiers conséquents.

Depuis son existence la Commission n’a jamais bénéficié d’une subvention de fonctionnement d’un milliard. Or, le budget des institutions sus-évoquées se chiffre toujours en termes de milliards parfois trois fois supérieur à celui de la CNDHL. Celui de la CONAC s’élève par exemple à 3 milliards Francs CFA annuellement.

La Commission fait également face au tarissement de certaines sources de financement. La Commission des Droits de l’Homme se trouve être aussi impuissante au refus de collaboration de certaines autorités.

  2. L’impuissance face au refus de collaboration des administrations publiques

La proportion de la réaction des autorités administratives par rapport aux correspondances en provenance de la Commission des Droits de l’Homme reste encore très marginale.

A la lecture des différents rapports que produit la Commission, un constat clair s’établi. Ce constat, c’est le manque de volonté des administrations saisies. Et à cause de leur attitude de refus de collaboration, l’INDH du Cameroun peine à assurer convenablement ses fonctions.

En dépit de l’institution des Points Focaux en 2008 au sein de certaines administrations, pour relancer les autorités sur les correspondances de la CNDHL, portant sur des cas de violations des droits humains, celles-ci ne répondent toujours pas aux attentes de la Commission.

Tableau : Etat des réponses aux correspondances transmises par la CNDHL en 2017

Ce tableau montre la timidité qui caractérise la réaction des autorités vis-à-vis des correspondances en provenance de la CNDHL. Sur 259 correspondances transmises en 2017, 105 réponses ont été obtenues. Et au moment de la publication du rapport, 154 étaient encore en attente.

L’on constate que dans certaines régions, sur le nombre de correspondance transmise, aucune réponse n’a été obtenue. Dans la région de l’Adamaoua par exemple, sur 19 correspondances transmises, aucune réaction.

D’un point de vue général, le nombre de correspondance en attente est plus élevé que le nombre de réponse obtenu. Ce qui justifie la thèse du défaut inquiétant de collaboration des administrations. A côté de cela, un autre problème se dégage et peut confirmer soit l’idée de la méconnaissance de l’existence de la CNDHL, soit l’idée du défaut de confiance.

Face donc au manque de collaboration sus-évoqué, la CNDHL reste impuissante. Elle assiste quotidiennement pour une nouvelle fois, au renforcement de son inefficacité. En plus, l’INDH du Cameroun assiste désespérément aux nombreux cas de refus de convocation qu’elle adresse aux particuliers, aux chefs d’entreprises et autres.

Or, l’article 28 (1) de sa loi habilitante prévoit que : « Est passible de peines prévues à l’article R 370 du Code Pénal celui qui, dûment convoqué, refuse de déférer aux convocations de la Commission Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés ».

La CNDH peine donc à interpréter tous les articles de son texte organique, toute chose qui, additionné aux problèmes de gestion avérés, ne contribuent pas à l’amélioration pertinente de son image.

En plus, cette structure, pourtant d’une grande importance dans l’établissement d’un état de droit, n’a pas la possibilité de traduire en justice les coupables de violation des droits de l’homme. MN

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