Survie Cameroon : Le parcours d’un navire humanitaire en eaux troubles

Survie Cameroon

Dans une lettre adressée aux donateurs de l’initiative Survie-Cameroon-Survival-Initiative (SCSI) en avril dernier, le Professeur Maurice KAMTO qui en a été l’initiateur a dit sa satisfaction relativement au second audit réalisé à l’effet d’établir les raisons du gap relevé entre les montants affichés sur le site internet de l’initiative et les sommes dument reversées.

Plutôt que de faire taire les voix qui s’étaient élevées pour jeter aux gémonies le Président national du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, cette énième sortie semble avoir ravivé la polémique. Qu’est-ce qui justifie un tel acharnement contre cette caravane humanitaire dont les réalisations ont pourtant été saluées au-delà des frontières du Cameroun ?

Genèse de SCSI

Le 27 mars 2020, M. Maurice KAMTO fait une déclaration à travers laquelle il invite les Camerounais à constater la vacance du pouvoir présidentiel.

Par la même occasion, il annonce sa volonté de lancer une initiative de solidarité vis-à-vis des Camerounais en proie à « une catastrophe sanitaire avec de nombreuses victimes » et exposés « à une crise économique sans comparaison avec les autres pays africains de même niveau touchés par la pandémie, mais dont les chefs d’État ont pris des mesures énergiques à la mesure de la situation. »

Dans la foulée, il invite ses compatriotes à se mobiliser pour faire face à la pandémie en adhérant à l’initiative qu’il baptise alors SURVIE-CAMEROON-SURVIVAL INITIATIVE. Le 03 avril 2020, l’opération de solidarité est lancée.

Le 07 avril 2020, M. Christian PENDA EKOKA, annonce avoir accepté de prendre les commandes de SCIS effectivement lancée quelques jours plus tôt.

« Nos premières actions privilégient la fabrication et la distribution locales des masques et des solutions hydro alcooliques », lance le Président national du mouvement AGIR, allié du MRC à l’élection présidentielle d’octobre 2018.

Le navire humanitaire a ainsi levé l’ancre avec à son bord, le Capitaine Christian PENDA EKOKA. De nombreux Camerounais de l’intérieur et de l’extérieur n’ont pas hésité à le rejoindre. Très vite les jauges des plateformes de collecte explosent.

Les obstacles dressés sur la route du navire

Au regard de l’adhésion massive des Camerounais à Survie-Cameroon-Survival-Initiative, le gouvernement de Yaoundé multiplie des stratégies pour en stopper l’évolution.

Le 07 avril 2020, alors que Christian PENDA EKOKA  annonce les objectifs de l’initiative dont il vient de prendre les rênes, Paul ATANGA NJI, Ministre de l’Administration Territoriale, invite « les leaders de partis politiques et d’associations » ayant lancé des levées de fonds en vue de lutter contre la Covid-19 à mettre un terme à leurs initiatives.

Si le Ministre ATANGA NJI convoque la loi du 21 juillet 1983 sur les appels à la générosité publique et le décret du 4 aout 1985 fixant les conditions d’octroi d’autorisation d’appel à générosité pour justifier cette sortie, certains la perçoivent comme une tentative de faire entrave aux actions du MRC.

C’est ainsi que le Directeur de l’Organisation Mondiale de la Santé réagit en appelant les autorités camerounaises à plus de responsabilité. « Le peuple appartient à tous les partis politiques […] L’objectif de tous les partis politiques devrait être de sauver leur peuple », écrit Thedos Adhanom.

Cette interpellation n’entame pourtant aucunement la détermination du MINAT à stopper les actions de la SCIS.

Le 09 avril 2020, Paul ATANGA NJI ordonne la fermeture et le gel des comptes de l’initiative aussi bien aux opérateurs de téléphonie mobile qu’à l’établissement bancaire qui hébergent lesdits comptes.

«J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir procéder à la clôture des comptes ouverts dans votre établissement bancaire par certains leaders politiques et d’associations en vue de la collecte des fonds prétendument destinés à la lutte contre le coronavirus (Covid-19) au Cameroun », écrit-il aux responsables d’Afrilland First Bank.

Par ailleurs, M. ATANGA NJI enjoint à son homologue des finances d’ouvrir une enquête sur Survie Cameroon Survival Initiative.  

Le 27 avril 2020, face au maintien des comptes querellés ouverts et actifs, le ministre de l’Administration Territoriale lève le ton.

« Je relève à votre attention qu’en maintenant actif ledit compte, vous êtes susceptible d’être considéré comme co-auteur ou complice de cette activité illégale », écrit-il à MTN et à Orange.

Le conflit ouvert entre les autorités camerounaises et les organisateurs de l’initiative de solidarité SCIS va traverser le cadre de la collecte des fonds pour se manifester dans la rue.

Le 11 mai 2020, des bénévoles sont arrêtés dans la ville de Yaoundé alors qu’ils procèdent à la distribution des masques et des bouteilles de gel, premiers fruits de l’opération. Au motif de rébellion, ils sont écroués et gardés en détention pendant plusieurs jours.

La rébellion qui est brandie comme raison de ces arrestations n’est en réalité qu’un nuage de fumée pour occulter l’hostilité du régime vis-à-vis de MRC, principal acteur de cette initiative de solidarité.

Quelques jours plus tôt, c’est le Ministre de la Santé Publique qui refusait le don 16 800 masques de protection et chirurgicaux et 950 tests de dépistage proposé par le coordonnateur de l’initiative. Ces houles n’ont cependant pas arrêté l’avancée du navire humanitaire SCSI.

Les réalisations de Survie-Cameroon-Survival-Initiative

Les fonds collectés dans le cadre de Survie-Cameroon-Survival-Initiative ont servi à l’achat et à la distribution de masques de protection, du gel hydro alcoolique et du matériel hospitalier comme l’indique le tableau suivant.

DésignationsProportion en pourcentageMontants absorbés
Masques37%272 485 euros
Gel Hydro alcoolique36%271 383 euros
Matériel médical (concentrateurs d’oxygène, électrocardiogramme, test de Covid, tensiomètre électronique)8%64 807 euros

En plus des citoyens à qui des bénévoles ont distribué masques et gel dans la plupart des grandes villes du pays, plusieurs centres hospitaliers de l’ensemble du pays ont également été bénéficiaires de cet élan de générosité.

Le 31 juillet 2020, SCSI s’est rendue à BANGOULAP où le personnel du centre de santé ASVODAD l’attendait pour la cérémonie de remise d’un important lot de matériel médical. C’était à l’occasion de la troisième journée de remise de dons dans le cadre de l’initiative SCSI. 

Le 5 aout 2020, les responsables de cinq centres hospitaliers de la capitale Yaoundé ont exprimé leur joie de recevoir du matériel hospitalier apporté par une délégation de Survie Cameroon Survival Initiative conduite par Joseph Emmanuel Ateba.

«Notre objectif est de couvrir le maximum de centre de santé dans le Centre en particulier et au Cameroun en général. Ce n’est qu’une première étape aujourd’hui», a indiqué le coordonnateur régional Survie Cameroun pour le centre, à cameroon-info.net.

Deux jours plus tard, c’est l’hôpital baptiste de Meskine à la périphérie de la ville de Maroua qui accueillait la caravane de SCIS. Plusieurs autres établissements hospitaliers et scolaires ont bénéficié de la sollicitude des Camerounais qui se sont montrés sensibles à la souffrance de leurs compatriotes.

Plusieurs autres villes et centres de santé suivront : Lelem Mangwete, Bertoua, Garoua, Dschang, Sangmelima, Mutengene, Bafang, Buea, Ebolowa, Douala, Akon, Mbalmayo, Limbé, Tiko, Kribi, Ngaoudéré, Meiganga…etc.

Les deux audits

Le 02 novembre 2020, le président du comité de gestion de l’initiative Survie-Cameroon-Survival-Initiative publie un communiqué dans lequel il annonce un audit indépendant en vue d’examiner « la fiabilité des informations et des procédures des plateformes de collecte jusqu’au transfert des fonds sur le sous compte bancaire SCSI au MRC » et « l’utilisation des fonds collectés pour les besoins de l’initiative SCIS. »

Christian PENDA EKOKA fonde cette démarche sur les informations transmises aux auditeurs internes de SCSI par M. Henry DJOKO, le responsable Europe du MRC, relativement à la collecte d’environ 807 000 euros.

Le 04 décembre 2020, l’initiateur de SCSI annonce au public « la décision de commettre un audit indépendant, afin de faire toute la lumière sur la situation » du différentiel constaté entre le montant d’argent affiché par les plateformes de collecte et les fonds effectivement transférés.

Le 29 décembre 2020, le président du Comité de gestion informe le public, par voie de communiqué, des modalités de sélection du cabinet à qui l’audit a été confié.

« Une commission de sélection composée de six membres de profil divers venant des États-Unis, du Canada, du Luxembourg, de la Belgique et de la France a été constituée pour choisir entre trois cabinets : canadien, américain et français. », précise-t-il. Le cabinet ACDB Consulting a ainsi été choisi par cette commission de sélection.

Le cabinet français, après plusieurs reports, rend sa copie le 22 janvier 2021 en forme de synthèse.  Dans cette synthèse, on est informé d’un « écart de 331 122 € entre le site internet et le montant cumulé des comptes Stripe et PayPal. » Cependant, selon la même synthèse de rapport, « il n’a pas été possible d’établir de manière certaine et formelle l’origine de cet écart. »

M. Bakari DIAGOURAGA qui a signé le rapport pour le compte de son cabinet, y indique par ailleurs qu’il aurait pu provenir, entre autres, d’un bug informatique.

Compte tenu de la légèreté de ce premier rapport, un autre audit est commandé par Maurice KAMTO et confié à un consortium de trois cabinets de nationalités différentes, Adequi, HCS Company et LOOP IT Methods.

Le rapport de cet autre audit révèle que « le site cameroonsurvival.org a été victime d’un bug dans le module complémentaire GiveWP Currency Switcher. »

On y apprend que « le site Web affichait les résultats rapportés, où il a été clairement démontré (par des recherches effectuées  indépendamment  par  HCS  Data  &  Integration  et  Loop  IT  Methods)  dans  l’outil d’administration, la base de données et la mise en œuvre réelle du plugin qu’il y avait un bug faisant en sorte que les dons effectués dans une devise qui utilise un séparateur décimal différent de celui utilisé en euros, à savoir USD et GBP. Ce bug a affecté un total de 91 dons, entraînant une différence de 314 273 (trois cent quatorze mille deux cent soixante-treize) euros. »

Ce deuxième audit, mieux élaboré que le précédent, semble ne pas avoir l’assentiment du désormais ancien président du comité de gestion du SCSI.

Dans une vidéo mise en ligne le 1er mai dernier, le Président d’AGIR s’en étonne. « 330 000 euros, c’est-à-dire plus de 215 000 000 de francs cfa disparaissent comme ça dans un bug ? », se demande-t-il. Pourtant, dans la même vidéo, il dit n’avoir pas lu le rapport du consortium d’auditeurs.

Comparaison des deux rapports

Mais ce second rapport indique, en effet, que l’audit du consortium a été mieux mené. D’abord, il a été mené par trois cabinets indépendants et révèlent plus d’informations que le premier, celui du cabinet ACDB. Contrairement à ce dernier, le rapport d’avril précise la méthode et les outils utilisés.

« La jauge du site internet affiche un montant de contribution de 1.137.422 €.  Tous les protocoles de tests et les interventions techniques que nous avons appliqués indiquent qu’il n’y a pas lieu de doute de cette jauge qui fonctionne normalement. », lit-on dans la note de synthèse d’ACDB Consulting sans toutefois pouvoir savoir de quels protocoles de test et de quelles interventions techniques il s’agit ici.

Aussi, il est important de noter que ACDB Consulting est un cabinet d’expert-comptable et de commissaire aux comptes. Une analyse sérieuse des plateformes de collecte des fonds et de la jauge du site internet de l’opération nécessite pourtant l’expertise d’analystes informaticiens.

 En gros, le Cabinet de Paris s’est contenté de confirmer le gap relevé par les auditeurs internes de SCSI comme l’aurait fait n’importe quelle personne, experte ou non.

Contacté par notre rédaction pour avoir son avis sur les résultats de l’audit qui a suivi le sien, ACDB Consulting nous a orienté vers le président de comité de gestion de l’opération en nous précisant qu’il est « tenu de respecter le secret professionnel et le devoir de discrétion ».

Selon Harry Winner, ingénieur en informatique et spécialiste de la monétique qui s’est exprimé face à la caméra de la chaîne de télévision Canal 2 International ce 6 mai, les résultats du dernier audit tiennent la route si tant est que « dans différentes langues, les séparateurs sont exprimés différemment » en ce qui concerne les données financiers.

« Quand un monsieur va donner un don dans une monnaie telle que le dollar et c’est converti en euro […] le résultat c’et 5, 32 euros. Mais si vous êtes dans un système qui voit la virgule non pas comme le point décimal mais comme séparateur, il ignore ceci et donc, le système va prendre ça comme 532 euros », explique-t-il.

Une initiative salutaire

L’initiative SCSI suscite de nombreux commentaires depuis son lancement en avril 2020. Le fait que l’opération continue d’enflammer les médias malgré le rapport du dernier audit qui a été commis à l’effet de faire la lumière sur les collectes de fonds, ne peut être quà saluer.

Les Camerounais s’intéressent et participent désormais au débat public. Ils se donnent les moyens d’appréciation de l’action politique, ils apprenent à murir leur avis, à exprimer leurs points de vue et à prendre éventuellement parti.

En tout état de cause, SCSI qui a sans doute mis de nombreux Camerounais à l’abri des affres de la Covid-19 qui continue de faire des victimes, a révélé le manque de scrupules du gouvernement camerounais dont certains membres ont saisi l’occasion de cette pandémie pour s’enrichir de facon illicite et perverse. MN

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