Cardinal Christian Tumi : vie et œuvre d’un pasteur de la paix

VATICAN – 23 MAI: Plus de 150 des 183 cardinaux du monde se réunissent dans la Salle du Synode du Vatican pour une réunion à huis clos de trois jours sur le thème « Perspectives pastorales de l’Eglise au troisième millénaire . » Christian Wiyghan Tumi (Cameroun) à Rome, Italie, le 23 mai 2001. (Photo par Eric VANDEVILLE/Gamma-Rapho via Getty Images)

Le Cardinal Christian Tumi a définitivement rangé sa soutane le 3 avril 2021 après un court séjour dans une clinique privée de Douala. La nouvelle de la disparition de l’archevêque émérite de la ville des affaires est tombée tôt le matin. Il avait 90 ans.   

« J’ai la profonde douleur d’annoncer le décès de son éminence Christian Cardinal Tumi, décès survenu le 3 avril 2021 ». Ces mots ont précédé le vent de consternation qui a soufflé sur les auditeurs de radio Veritas ce matin.

Le communiqué de Mgr Samuel Kléda, archevêque de Douala, a été diffusé sur les ondes de la radio du diocèse au moment où il se propageait comme une trainée de poudre sur la toile. L’intérêt manifesté par les Camerounais au sujet de cette triste nouvelle trahit la place que le Cardinal Christian Tumi occupe dans les cœurs.

Après s’être retiré de ses charges d’archevêque le 17 novembre 2009, le natif de Kikaikelaki est resté actif sur la scène socio-politique au Cameroun jusqu’à son départ.

Une dévotion sans faille pour l’évangile et pour son pays

Chassé de son propre village parce que converti au christianisme, c’est à Kikaikelaki que Thomas Tumi s’installera et verra naitre ses enfants. Christian Wiyghan Tumi fut le troisième de la fratrie. Ce dernier est né le 15 octobre 1930.

Ce n’est pourtant qu’en 1966, à 36 ans,  que Christian Tumi sera ordonné prêtre et accueilli au diocèse de Buéa.

En insatiable intellectuel, il se lance dans une quête interminable de savoir. Du Nigéria à la Suisse, en passant par la Grande-Bretagne et la France, le prélat étudie les sciences de l’éducation, la théologie et la philosophie.

Ce périple sur le chemin de la connaissance s’achève à l’Université de Fribourg, où l’homme obtient un doctorat en philosophie.

De retour dans son pays, le Cameroun, il est tour à tour recteur du grand séminaire de Bambui dans l’archidiocèse de Bamenda, évêque de Yagoua, dans la région de l’Extrême-Nord, archevêque coadjuteur puis archevêque de Garoua dans la région du Nord et archevêque de Douala.

Cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Douala – (c) Ngando ngoubo lucien thierry via Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0

Il occupe ses dernières fonctions pendant 18 années, du 31 aout 1991 au 17 novembre 2009. Suffisant pour s’imposer comme une voix qui compte au sein de l’église catholique et sur l’échiquier politique du pays.

Le ministère pastoral du tout premier cardinal du Cameroun a été consacré à la recherche de la paix et de la justice.

Dans une biographie consacrée au religieux, Guy-Ernest Sanga le présente comme un homme « Doté d’une âme tendre et pacifique ». « Il n’a eu pour seul motif que celui d’annoncer l’évangile à temps et à contretemps. Son ministère de la parole est un cri qui livre toute la souffrance poignante que connaît encore le peuple camerounais », ajoute l’auteur à son sujet.

Mission noble pour celui qui, au soir de son ministère pastoral, s’était pris à rêver d’une vie en dehors de l’église. Dans le livre intitulé Le Cardinal TUMI ou le courage de la foi, on raconte comment, face à l’incertitude et aux difficultés de la vie pastorale, le Père Christian Tumi aurait renoncé à poursuivre sa mission si son père spirituel d’alors ne l’en avait pas dissuadé.

Engagé sur le terrain de la politique

Le Cardinal Christian Tumi a toujours investi la place publique quand il en sentait le besoin pour dire sa position relativement à la gestion de la cité. Ses dernières années, il les a consacrées à sa lutte pour le retour de la paix au Sud-Ouest et au Nord-Ouest.

Il imputait la crise anglophone et les problèmes du Cameroun à la mauvaise gouvernance. « Les origines de la crise c’est le mauvais gouvernement », a-t-il indiqué au micro de la DW. Le prélat pensait que la solution à cette guerre serait « soit la décentralisation, ou le système fédéraliste parce que dans les deux cas, c’est la base qui essaie de résoudre ses problèmes. »

L’un de ses plus grands regrets aura été de n’avoir pas pu organiser la Conférence générale des anglophones. « Elle devait se tenir avant la présidentielle d’octobre 2018, mais on nous a dit que le moment était mal choisi, que cela allait être mal interprété. Nous avons donc pris l’initiative de la reporter. Après l’élection, on nous a demandé d’attendre la prestation de serment du président réélu. Puis on nous a dit que la situation était trop tendue pour organiser quoi que ce soit… Voilà où nous en sommes. Mais nous n’avons pas renoncé », avait-il lancé dans un entretien accordé à un magazine  français en juillet 2019.

Le 19 septembre 2019, avec plusieurs leaders religieux, le Cardinal émérite a remis un chapelet de propositions au Premier ministre, Joseph Dion Ngute. 400 pages qui résumaient les doléances des populations des régions du Nord-Ouest, du Sud-Ouest et des anglophones de la diaspora.

Au sortir de cette rencontre qui s’était tenue en prélude au Grand dialogue national, il a indiqué face à la presse que « les hommes de Dieu sont obligés de tout faire […] pour que la paix revienne au Cameroun ».

Après l’échec du Grand dialogue national, le Cardinal a lancé un appel fort au Président Paul Biya pour un cessez le feu. « Je crois qu’il appartient désormais au Chef de l’Etat de faire quelque chose et je crois qu’il peut le faire, à savoir déclarer l’amnistie afin que la paix soit faite et que les enfants puissent aller à l’école », lassait-il entendre à la presse après avoir été libéré par les sécessionnistes qui l’avaient enlevés le 5 novembre 2020.

Plusieurs acteurs politiques regrettent le départ d’un homme de justice. Pour le Professeur Maurice Kamto, le Cameroun a perdu « un acteur important dans la lutte pour des élections libres et transparentes, l’application de l’article 66 de la Constitution pour la lutte contre la corruption, et la résolution du problème anglophone ».

Ses positions controversées

Viscéralement attaché à l’idée du fédéralisme, le Cardinal avait indiqué, en parlant de la Conférence générale anglophone, que les séparatistes pourraient consentir à y prendre part à condition qu’il débouche sur un référendum sur le fédéralisme ou l’indépendance. Certains s’étaient alors demandé pourquoi organiser une conférence ayant dessiné au préalable son issue.

Entre le 30 septembre et le 4 novembre 2019, Christian Tumi a pris part au Grand dialogue national. Il y a présidé la commission en charge du retour des réfugiés et des personnes déplacées.

Alors que plusieurs personnalités avaient claqué la porte dès le premier jour des débats estimant qu’il s’agissait plus d’un monologue que d’un dialogue, le Cardinale Tumi a indiqué, face à la caméra d’Equinoxe Télévision, que tout se passait bien. « Je n’ai pas cette impression », avait-il laissé entendre aux journalistes visiblement dubitatifs. « Tous ceux qui sont là sont habiletés à participer à la commission de leur choix », estimait-il.

Alors que la « All Anglophone Conference » qu’il appelait de tous ses vœux visait à donner la parole à tous les acteurs engagés sur le champ de guerre et que plusieurs d’entre eux étaient en prison pendant le déroulement du dialogue initié par le Chef de l’État, cette sortie a suscité l’indignation de plusieurs observateurs qui l’ont dit à la solde du régime.

Le 5 aout 2020, l’archevêque émérite de Douala a participé à une réunion avec plusieurs autres leaders religieux. À l’issue de cette rencontre, le collège de pasteurs a rendu public un communiqué à travers lequel il affirmait son soutien au gouvernement du Cameroun relativement à la mise en œuvre d’un plan de reconstruction des Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, appelant ainsi les populations « à coopérer et à faciliter la mise en œuvre du programme ».

Cet appel est apparu comme antinomique à la demande de plusieurs forces vives locales et à celle de la communauté internationale de mettre fin au conflit avant d’initier la reconstruction de la partie d’expression anglaise du pays.

Alors qu’il commençait à peine à arborer ses attributs de notable, le Cardinal Christian Tumi a été arraché à la vie au soir d’un parcours bien accompli. Il quitte la terre des hommes après avoir mené une vie remplie, marquée par de nombreux combats pour l’amélioration des conditions de vie des Camerounais.

Ses positions contre le régime et contre les sécessionnistes lui ont souvent valu d’être la cible d’attaques de toutes sortes. Il part sans voir la réalisation du Cameroun pour lequel il s’est battu. Le Cardinal Christian Tumi était un homme avant tout, avec ses forces et ses faiblesses. MN

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