D’essence coloniale, la Crise Anglophone s’est réactualisée en 2016. Avec sa radicalisation en début 2017, de nombreux crimes ont été commis.
Chaque jour dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, l’on note des actes des plus horribles commis par des forces de l’armée régulière et des groupes séparatistes.
Faits marquants
- La naissance et l’enlisement de la Crise Anglophone sont liés au manque de volonté des régimes successifs du Cameroun francophone de créer une véritable identité camerounaise au lendemain de l’indépendance officielle du pays.
- Les mobilisations contestataires des anglophones sont dans la plus part des cas réprimées par les forces policières et militaires.
- Avec la création des groupes armés par les militants séparatistes, les crimes, les tueries et la barbarie ne sont plus seulement l’apanage de certaines forces de sécurité présentes sur le terrain.
- Les arrestations arbitraires, les exécutions extrajudiciaires, les incendies, les tueries de tout genre et les viols font partie du quotidien des populations dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun.
- Tous les protagonistes de la crise anglophone doivent résolument opter pour un dialogue sincère.
Trajectoire de la crise anglophone
Cette crise s’enracine dans la colonisation franco-britannique au Cameroun. Le pays fut divisé arbitrairement le 4 mars 1916 par ces deux nations européennes.
Les Camerounais vont évoluer séparément sous cette scission jusqu’au 11 février 1961, date de la réunification des deux entités coloniales, donnant naissance à la République Fédérale du Cameroun.
Mais, en 1972, le président Ahidjo prend la décision d’abolir la fédération au profit de l’unification. Le Cameroun devint ainsi un Etat unitaire le 20 mai 1972.
Cette abolition unilatérale de la fédération fut une violation de l’article 47 de la constitution fédérale qui stipulait qu’aucune décision affectant la vie des deux fédérations ne peut être adoptée par l’assemblée fédérale si elle n’est pas votée par la majorité des députés des deux états fédérés.
En 1984, la République Unie du Cameroun devint la République du Cameroun sans aucune consultation préalable des Camerounais. Ces actes juridique, politique et symbolique des présidents Ahidjo et Biya vont progressivement créer un sentiment de marginalisation auprès de nombreux anglophones.
Frustrés, certains créèrent dès 1995 des mouvements appelant à la sécession. Le plus connu est le Southern Cameroons National Council (SCNC), dont la frange jeune est le Southern Cameroons Youth League (SCYL).
Selon International Crisis Group, dans son rapport du 2 aout 2017, la crise s’actualise en octobre et novembre 2016 lorsque les avocats, les enseignants et les étudiants font respectivement des manifestations dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
En début d’année 2017, selon le même rapport, elle se radicalise à cause de l’esprit autiste et autoritaire du régime.
La réponse brutale du régime
Au début de la crise anglophone de 2016, les autorités camerounaises ont opté pour le déni et la brutalité.
Alors qu’à Yaoundé certains membres du gouvernement affirmaient qu’il n’existe pas de crise anglophone, sur le terrain à Bamenda, la police et l’armée furent mobilisées pour réprimer les manifestations des avocats, des enseignants et des étudiants. Ce fut respectivement les 11 octobre, 21 et 28 novembre 2016.
Le 11 octobre, alors que la marche se déroule sans incident majeur, des gendarmes dispersent violemment la foule et molestent des avocats selon le rapport d’International Crisis Groupe rendu public le 02 août 2016.
Le 21 novembre, d’après le même rapport, plusieurs personnes sont sévèrement battues, des dizaines d’autres arrêtées et au moins deux personnes tuées par balle, selon le premier rapport de la Commission nationale des droits de l’Homme et des libertés sur la crisse anglophone.
Le 28 novembre, à l’Université de Buea, l’ancienne rectrice de l’université et actuelle ministre des Enseignements secondaires réagit en faisant entrer la police sur le campus, qui réprime brutalement les étudiants, en arrêtant certains à leur domicile. Selon ICG, des étudiantes furent battues, déshabillées, roulées dans la boue.
Le 8 décembre à Bamenda lorsque le parti du président Biya, le RDPC, organise un rassemblement pour démontrer la popularité du régime dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. La population en colère manifeste son opposition à l’organisation de ce rassemblement.
De violents affrontements avec les forces de sécurité font au moins quatre morts et plusieurs blessés par balle ; une cinquantaine de personnes sont arrêtées. De brutalité en brutalité, la crise se radicalisa et engendra des horreurs.
Quelques crimes et horreurs de la crise anglophone
Numéro | Nature de l’horreur | Victimes | Auteurs | Lieux | Années | Sources |
1 | Viol | Etudiantes de l’Université de Buea | Police | Universités de Buea | 28 novembre 2016 | International Crisis Group, 2017 |
2 | Tire à bale réelle | Des adolescents | Des militaires | EBANJA Quaters-Tiko | 2017 | Commission Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés, 2017 |
3 | Homicides illégaux | 4 populations civiles | Forces armées et le BIR | Localité de DADI (Sud-Ouest) | 13 décembre 2017 | ICG, 2017 |
4 | Exécutions extrajudiciaires | Un homme de 60 ans | Des militaires et le BIR | BODAM (Sud-Ouest) | 14 décembre 2017 | Commissariat Général aux Réfugiés Et aux Apatrides, octobre 2019 |
5 | Exécutions extrajudiciaires | Un homme de 26 ans | Des gendarmes et le BIR | Quartier ACHA (Nord-Ouest) | 2 février 2018 | Amnesty International ,2018 |
6 | Incendie | Des villageois | Des militaires et le BIR | KWAKWA | 21 janvier 2018 | A.I, 2018 |
7 | Mort en détention | 4 populations civiles | Des gendarmes, des militaires et le BIR | BELO (Nord-Ouest) | 3 février 2018 | A.I, 2018 |
8 | Mort par balle | 6 civils | Des forces de sécurité | Njinikom | 7 août 2019 | HRW, mars 2019 |
9 | Décès survenu après torture | Un civil | Des militaires, des soldats du BIR et des gendarmes | Kumbo (Nord-Ouest) | fin juillet 2018, | HRW, 2019 |
10 | Viol | Jeune de 17 ans | Arthur Mbida, militaire | poste de contrôle militaire, à Bamenda | en juillet 2018 | Commissariat Général aux Réfugiés Et aux Apatrides, octobre 2019 |
11 | Massacre | Populations civiles, femmes et enfants | Des militaires | Ngarbuh (Nord-Ouest) | 13 février 2020 | Site ndhcam.org |
12 | Embuscade ayant tué six personnes. | Forces de sécurité | Groupes séparatistes | Alabukum (Nord-Ouest) | 4 août, 2019, | ICG, 2019 |
13 | Tête coupée et amputation des membres supérieurs | NDOP Peter Njakah Chuisih, un personnel de la police municipale | Groupes séparatistes | / | / | Site ndhcam.org |
14 | Assassinat | Mbah Treasure | Groupes séparatistes | / | / | Site ndhcam.org |
15 | Torturée égorgée | Comfort Tumassang, 35 ans | Groupes séparatistes | / | / | Site ndhcam.org |
16 | Tuerie | Martha, bébé de 4 mois | / | MuyuKa | 2019 | Site apanews.net |
17 | Tuerie | 7 Jeunes Ecoliers | / | Kumba | 24 octobre 2021 | Site bbc.com |
18 | Tuerie | Ashu Prisley Ojong, | / | Manfé | Site ndhcam.org | |
19 | Tuerie | Khaled Tinsa | / | Ekondo-Titi | 15 mars 2018 | Site aa.com.fr |
20 | Embuscade | 4 soldats de la 21e bataillon des fusiliers marins | Groupes séparatistes | Ekondo-Titi | 14 février 2021 | information.tv5monde.com |
Enlisement de la crise et manque de volonté politique
La crise dans les régions du Nord et du Sud-Ouest perdure à cause du manque de volonté du gouvernement. Selon le rapport publié par le Commissariat Général aux Réfugiés en 2019, le régime camerounais, jusqu’en cette date, n’avait manifesté aucune volonté réelle de résolution de la crise.
D’après ce rapport, en dépit de la création en fin novembre 2019 par le Premier ministre d’un Comité interministériel ad hoc chargé de mener les négociations, les autorités camerounaises semblent avoir plutôt voulu maintenir le statut quo.
C’est ainsi que le Cameroon Anglophone Civil Society Consortium, constitué de quatre associations d’avocats et de plusieurs syndicats d’enseignants fut dissout par le gouvernement alors que les deux entités venaient seulement de commencer les négociations.
En lançant un ultimatum le 31 décembre 2018, Paul Biya avait une fois de plus exprimé son manque de volonté d’oeuvrer à une résolution pacifique de la crise. En dépit du Grand Dialogue organisé en 2019, les combats et les crimes odieux de trop continuent sur le terrain. MN
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