Au Cameroun, des médecins malades du chômage et de la précarité

Au Cameroun, des médecins malades du chômage et de la précaritéLe chômage des médecins au Cameroun est un fait marquant. Beaucoup s’imagine qu’il est impossible qu’un médecin puisse chômer. Hors sur 1000 médecins, 300 réussissent à décrocher un poste et à être intégré - (c) Canva Pro

En première ligne du front contre le coronavirus, les médecins constituent avec les infirmiers et autres aides-soignants un corps de métier pourtant mal loti au Cameroun. Salaires de catéchistes, suppression de primes, intégration sélective à la fonction publique, le quotidien des soldats en blouse blanche est loin d’être enviable.

Triste diagnostic  

A la faveur d’une rencontre organisée par le Ministre de la Santé publique à l’effet d’échanger sur la situation des médecins au Cameroun en aout 2020, les organisations parties prenantes de cette entrevue ont passé en revue les écueils qui jonchent le parcours de combattant de ces hommes et femmes dévoués à la protection de la santé du pays.

À cette occasion, l’association Médecins du Cameroun (MEDCAMER) a remis au Docteur Malachie MANAOUDA un « Manifeste pour l’amélioration du système de santé » qui expose la difficulté à exercer le métier de médecin au Cameroun.

« Notre système de santé vit une crise dramatique qui affecte nos vies, nos corps,  nos âmes et notre honneur. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants meurent chaque jour dans les formations sanitaires de notre pays, faute de pouvoir subvenir aux coûts de leurs soins. Nous assistons à une récurrence de dysfonctionnements criards, signe qu’il est temps d’effectuer une profonde réforme. Parce que le poids de ces défaillances est endossé par tout le personnel soignant avec un stoïcisme poussé aux limites du supportable, en nos âmes et consciences, et en ce moment crucial de l’histoire de la profession médicale au Cameroun » rappelle MEDCAMER

Dans ce plaidoyer en faveur de la revalorisation des conditions de travail du personnel du secteur sanitaire, l’association que dirige Mme Marie Solange NDOM-EBONGUE, s’offusque de « l’insuffisance des moyens techniques » mis à leur disposition, de « la condition matérielle inique » qui est la leur, de « la faible rétribution » de leur pratique, des « redistributions inéquitables des revenus hospitaliers » et de « la médiocrité du profil de carrière du médecin » entre autres.

Par ailleurs, de nombreux médecins ne trouvent pas un emploi après leur formation. « Le chômage des médecins au Cameroun est un fait marquant. Beaucoup s’imaginent qu’il est impossible qu’un médecin puisse chômer ; or sur 1000 médecins, 300 réussissent à décrocher un poste et à être intégrés », s’indigne le Docteur Claudel NOUBISSIE, promoteur de SOS Médecins Cameroun.

Des salaires dérisoires

Dans sa parution du 20 juillet 2020, le journal Le Jour a indiqué qu’ « un médecin généraliste en début de carrière est classé en catégorie A2, indice 650 et ne gagne que 247 704 Fcfa après une dizaine d’années d’études. »

Ce salaire qui est largement inférieur aux prestations d’un médecin et du standard social auquel il aspire n’est guère loin de celui des médecins spécialistes. « En même temps, des médecins spécialistes en fin de carrière confessent un salaire de 250 000 Fcfa », a ajouté le quotidien d’Haman Mana.

Cette rémunération intègre la prime de technicité, la prime de santé publique et la prime d’astreinte comme le précise le Décret n°2001/145 du 3 juillet 2001 portant statut particulier des fonctionnaires des corps de la Santé publique. Mais les médecins se disent mal payés et en proie à la précarité dans leur vie de tous les jours.

Pour en rajouter à leur désarroi, leur Ministre de tutelle a instruit, en juillet 2020, la suppression de la prime de technicité qui apparaissait jusque-là dans leurs bulletins de solde. Le montant de cette prime oscillait entre 2 400 et 3 900 Fcfa. Suffisant pour susciter le courroux de nombreux agents qui n’ont pas tardé à se constituer en collectif pour réclamer la restauration de cet élément salarial. 

« Nous médecins fonctionnaires avons découvert avec stupeur une amputation de notre salaire d’une prime de 2400Fcfa. Alors que nous sommes encore plongés dans la bataille contre la Covid-19 dans laquelle plusieurs de nos confrères ont perdu la vie, nous sommes stupéfaits par le moment choisi pour nous ponctionner notre salaire qui est l’un des plus faibles comparé aux autres pays africains de même niveau économique », ont-ils laissé savoir à M. Paul BIYA dans une correspondance.

 Si le Ministère de la santé a justifié cette suppression en avançant le motif d’un « doublon dans les salaires », il reste évident que ce qui aurait boosté le moral du personnel de santé en contexte de lutte contre la Covid-19 aurait été une revalorisation des salaires des médecins.

Dans le secteur privé, le traitement salarial des médecins varie selon le standard des cliniques dans lesquelles ils exercent. Si la majorité des médecins y sont bien rémunérés, d’autres, cependant tirent le diable par la queue.

Dans une thèse présentée à l’école doctorale de l’Université d’Avignon (Sud-Est de la France), M. Christophe Foé NDI soutient que « les salaires des personnels de santé au Cameroun, que ce soit dans le secteur public ou le secteur privé, restent très bas. »  « Ceci conduit à une démotivation desdits personnels et surtout un abandon des zones rurales au profit des zones urbaines où de nombreuses autres opportunités s’offrent à eux », ajoute-t-il.

Régis par la réglementation en la matière, les tarifs des consultations dans les cliniques privées varient entre 6 000 Fcfa et 15 000 Fcfa.  Cela ne profite cependant qu’à un certain nombre de médecin chanceux d’exercer dans les grandes cliniques privées des grandes villes comme Yaoundé et Douala. 

Des conditions de travail peu favorables à l’épanouissement

Les premiers cas de coronavirus au Cameroun ont enfoncé le doigt dans la plaie du personnel de santé au Cameroun. Les médecins dont certains sont tombés sur le champ de la guerre contre la Covid-19 se sont davantage rendus compte de leurs difficiles conditions de travail. Ils manquent parfois des équipements les plus basiques nécessaires à la pratique de leur métier.

M. Sylvain NGA ONANA, président du Syndicat national des personnels des établissements et entreprises du secteur de la santé du Cameroun, confiait au journal français Le Monde qu’ « On manque de tout, partout. Que ce soit dans les hôpitaux publics ou privés ».

Face à cette situation, la peur a gagné le camp des soigneurs. « Ma plus grande inquiétude est la propagation rapide et l’état de nos hôpitaux. Ils manquent de matériel et de personnel. La charge de travail des infirmières va sûrement augmenter avec peu de motivation. Nous préconisons un recrutement massif d’infirmières », marmonnait M. Joseph NKWAIN, président de l’Association camerounaise des infirmièr(e)s et infirmier principal à l’hôpital régional de Bamenda.

Certains médecins sont aussi malades que leurs patients au Cameroun. Mauvais traitement salarial, chômage, exploitation et conditions difficiles de travail sont entre autres maux qui minent le corps médical. C’est ainsi que de nombreux médecins prennent la route de l’ailleurs dans l’espoir d’une vie meilleure. MN

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