Prostitution et instinct de survie des déplacées de la crise anglophone

crise anglophone - ProstitutionL’une des conséquences de la guerre qui sévit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est le déplacement forcé des populations de ces localités © DPEW50 Ton Koene / Alamy Stock Photo

L’une des conséquences de la guerre qui sévit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis le déclanchement de la crise anglophone au Cameroun est le déplacement forcé des populations de ces localités.

Ils sont plus de 700 000 hommes, femmes et enfants qui ont trouvé refuge dans le reste du pays. Pour survivre, certains se livrent à des pratiques dont ils n’auraient jamais rêvé. La prostitution est l’un de ces « métiers » que pratiquent certaines déplacées par instinct de survie. 

Tout simplement survivre

Dans un reportage diffusé à la faveur de son édition du journal du 11 juin 2019, la chaine Canal 2 International a levé le voile sur la prostitution qui a, depuis, pris des proportions inquiétantes dans le quartier Bonabéri à Douala.

Au cœur de ce phénomène, des filles et femmes originaires des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du pays, parties de leurs localités pour échapper à la violence des affrontements qui y font des morts. La vidéo a alors embrasé les réseaux sociaux, mettant en lumière les conditions difficiles de certains déplacés internes de la crise anglophone.

Dans cette vidéo, deux jeunes filles âgées de 18 et 19 ans, originaires du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, faisaient un témoignage de ce qui était alors devenu leur nouvelle vie. Ayant fui les tirs croisés de sécessionnistes et des forces de défense, elles s’étaient retrouvées malgré elles dans la ville de Douala, forcées à vendre leurs corps pour survivre.    

Comme elles, de nombreuses déplacées originaires de la partie anglophone du Cameroun se sont enrôlées dans la prostitution, dans plusieurs métropoles. Dans la capitale économique, on les retrouve à Akwa, à Bonabéri, à Deido et au lieudit « Elf » entre autres.

Selon le Plan réponse humanitaire 2020 de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, 66% des déplacés internes du pays sont originaires du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Une grande partie de cette frange de la société est constituée de nouvelles prostituées.

Selon le HCR, les quartiers Nkololoun  et Akwa ont reçu le plus grand nombre de réfugiés dans la ville de Douala avec, chacun, plus de 1000 déplacés enregistrés. Akwa constitue un autre foyer de prostitution pour les déplacés internes.

A 234 kilomètres de là, la ville de Yaoundé accueille aussi régulièrement son lot de nouvelles prostituées. Selon nos confrères de Camer.be, le quartier Obili à Yaoundé a également connu un afflux de jeunes déplacées qui font concurrence à certaines étudiantes de l’Université de Ngoa Ekélé sur le marché du plaisir vénérien.

Un riverain qui connait bien la pratique affirme que les prestations sexuelles des nouvelles s’obtiennent contre payement de la somme de 1000 francs CFA, environ de 2 dollars, selon les négociations.

A Bafoussam, Chef-lieu de la région de l’Ouest frontalière aux régions en crise, le phénomène est peu palpable. L’association AETIC y accueille et encadre les jeunes ayant fui leurs localités. Depuis mars 2020, elle les forme à l’utilisation des outils informatiques.

Contrairement à ces personnes qui se lancent dans la prostitution de leur gré, plusieurs jeunes filles y sont forcées par des membres de leurs familles qui en tirent profit.

« Je me sens mal. Ce n’est pas bien. Je ne suis pas contente de le faire, mais je n’ai nulle part où aller ». C’est en ces termes que Joyce étalait son calvaire face à des journalistes d’une chaine étrangère en mars dernier. Contrainte de se prostituer par sa tante, c’est la jeune fille de 21 ans qui paye le loyer de la famille à Kumba.

« Quand elle vend de la nourriture, des hommes et des garçons viennent lui dire qu’ils m’aiment, alors elle leur dit de la payer pour que j’aille dormir avec eux », expliquait-elle.

«Les gens se moquent de moi et disent que je couche avec des hommes assez vieux pour être mon père. Je m’en fiche parce que je sais au fond de moi, ce n’est pas ce que je veux », a-t-elle ajouté.

La peur du retour

Beaucoup de ces déplacées ont peur d’être à nouveau confrontées à la barbarie des groupes séparatistes armés et des forces de défense et de sécurité. En effet, les zones de conflits ne sont pas encore suffisamment pacifiées pour rassurer les populations déplacées.

S’exprimant dans le document du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides sur la Situation sécuritaire liée au conflit anglophone du 16 octobre 2020, Michel Togué, avocat et défenseur des droits de l’homme a déclaré que « des propagandes sont de plus en plus distillées sur des médias indiquant la reconstruction des zones affectées » et qu’un « important budget a d’ailleurs germé des commissions. »

Il ne pense cependant pas que « les populations rentrent dans les zones abandonnées. On dira plutôt que le problème de sécurité reste le handicap qui empêche ces populations apeurés de rentrer à la maison ».

Les populations anglophones qui se sont intégrées au sein des communautés francophones ne se sentent pas étrangers. Michel Togué soutient que ces déplacés « ne sont pas discriminés par la population francophone. » parce que « Certaines de ses populations francophones sont bien constituées en famille d’accueil ».

Cela ne suffit pourtant pas à leur redonner la vie qu’ils ont quittée pour trouver refuge dans les villes et villages de la partie francophone du pays. Precious, l’une des jeunes prostituées, regrette le confort que la guerre lui a arraché.

À Ndu, elle ne roulait pas sur l’or, mais au moins, elle vivait dans une maison. À New Bell, elle partage un réduit avec sa mère et elles s’y couchent presque à même le sol. L’argent que lui rapporte la prostitution suffit à peine pour les nourrir et soigner sa mère.

Precious rêve d’un avenir où elle aura trouvé un travail digne, à Ntumbaw ou à Douala, après avoir fini ses études.

Les statistiques sur les déplacés recueillis dans les villes du pays sont presqu’inexistantes. Celles sur les prostituées déplacées le sont plus encore. On sait cependant que les grandes métropoles n’ont pas cessé d’héberger de nombreuses femmes et adolescentes qui se disent contraintes de se prostituer pour éviter la mort à laquelle elles ont échappé sur théâtre de la guerre civile dans la partie anglophone.

Les nombreux « dons » du gouvernement aux populations déplacées n’ont pas arrêté le phénomène.

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